par jmsmirnoffice » 08 Sep 2005, 19:31
Bientôt plus de cd promos??? A suivre.
es majors du disque (Universal, Sony-BMG, EMI et Warner) ont récemment ouvert à l'intention des critiques musicaux un serveur sur Internet, Media Music Center, destiné à remplacer à partir du 30 juin l'envoi de compact-discs. La profession a condamné cette initiative dans une pétition se terminant par cette mise en garde : "Non, nous n'écouterons pas vos fichiers. Nous n'écoutons que des disques."
L'affaire est interprofessionnelle mais pose la question de la survie du CD. En demandant aux journalistes de se convertir avant le public ? à la musique dématérialisée, les maisons de disques semblent déjà reléguer au passé l'objet qu'elle commercialisent : ce CD apparu au début des années 1980, qui fit leur fortune avant de connaître une crise endémique (ses ventes ont chuté de 30 % sur ces deux dernières années).
Pourtant, en juin 2004, le ministre délégué à l'industrie, Patrick Devedjian, provoquait émois et vives réactions dans le milieu en déclarant que "le CD est une technologie dépassée" et que "se battre pour lui apparaît comme un combat perdu d'avance" . Pilonnée par la révolution numérique et la culture de la gratuité, la rondelle vit-elle ses dernières années, après avoir eu la peau du vinyle ?
C'est l'avis de Daniel Lesueur, auteur d'une récente Histoire du disque et de l'enregistrement sonore (Ed. Carnot, 196 p., 35 €), dont l'épilogue annonce "La mort du disque" . "On peut prévoir non pas son évolution, mais sa disparition pure et simple (...), écrit l'auteur. C'est l'objet lui-même qui est condamné, le support solide et palpable, qui ne pourra plus qu'inspirer nostalgie à ses utilisateurs et aux collectionneurs (...). Quel sera son héritier ? Les professionnels font semblant de se passionner pour le DVD. (...) Mais cet engouement passager ne parvient pas à masquer la réalité : une fois le son numérisé, l'objet rond et brillant était irrémédiablement condamné."
Daniel Lesueur va plus loin : "Il semble certain que le moyen de se fournir de la musique ne sera plus le traditionnel magasin de disques. Désormais, on restera chez soi et, depuis son ordinateur, on composera son programme. (...) Dans dix ans, il n'y aura plus de support. Personne n'a regretté le 78-tours, le CD est destiné à disparaître comme lui, car il n'est pas attractif." Pour le moment, le CD reste et de très loin le premier mode licite de consommation de musique, puisque la distribution en ligne représente moins de 1 % du marché. Les revenus de celle-ci (répartis à 75 % pour la téléphonie mobile, qui permet d'acheter des extraits de morceaux pour les transformer en sonneries, et 25 % pour les ventes en téléchargement) ont représenté 8,5 millions d'euros en 2004, contre 953 millions d'euros pour le CD. A court terme, il ne paraît donc pas menacé.
"LE GRATUIT L'EMPORTE"
Deux projections du marché européen de la musique, publiées en 2004 par des cabinets américains, ont rassuré les industriels. La première, réalisée par Forrester Research, prédisait que le téléchargement et les abonnements à des services en ligne s'élèveraient jusqu'à 30 % à l'horizon 2008. La seconde, de Jupiter Research, avait ramené ce taux à... 8 % (l'étude ne prenait pas en compte le marché des sonneries de mobile). Cette dernière expertise concluait surtout que "ni la musique numérique ni aucun des nouveaux supports physiques (DVD audio, minidisque) ne vont remplacer le CD dans un avenir prévisible" . Mieux, elle prévoyait que le développement de la musique en ligne lui permettrait de retrouver une croissance positive. Pour expliquer cette résistance, Jupiter Research constatait que 90 % des foyers européens sont équipés d'un lecteur CD, alors que 6 % seulement des internautes possèdent un baladeur numérique.
Editeur du site Génération MP3 et consultant Internet, Tariq Krim estime néanmoins qu'on est entré dans une "fin de cycle" : "Une génération émerge : les acheteurs de baladeurs numériques. Les plus jeunes commencent dès 8 ans, avec des premiers prix à 20 euros. Si, dans une dizaine d'années, une bibliothèque numérise toutes les musiques enregistrées de la planète, vous n'aurez plus besoin de CD. Il survivra seulement comme support de sauvegarde de la musique. Les possesseurs de baladeurs conservent déjà leur CD en cas de perte des données informatiques."
Président du Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), Gilles Bressand se veut optimiste : "La nature humaine stocke, mais elle a aussi besoin de repères physiques. Il n'y a pas de crise de la consommation de la musique, mais crise du paiement. Aujourd'hui, une génération perdue acquiert sans payer. Mais elle va grandir, s'embourgeoiser. A partir du moment où il y aura un coût, elle rationalisera son plaisir."
Le PDG de la Fnac, Denis Olivennes, partage cette analyse : "La question préalable est : "Va-t-on endiguer le piratage ?" Tant que le choix est entre gratuit et payant, le gratuit l'emporte. L'accès au téléchargement est une formidable révolution, et on ne reviendra pas en arrière. Il faut seulement garder le confort et enlever la gratuité."
Internet a permis un accès gratuit, facile et presque illimité à la musique, favorisant un comportement volatil. Tariq Krim constate ainsi que "les gens sont devenus acheteurs pour un petit nombre d'artistes et consommateurs pour tout le reste" . Comment les producteurs pourront-ils modifier ces habitudes ?
Les professionnels ont signé, le 28 juillet 2004, une Charte d'engagements pour le développement de l'offre légale de la musique en ligne, qui a été suivie d'effet. Selon le SNEP, l'offre numérisée est désormais supérieure à l'offre physique : au 31 janvier 2005, plus de 435 000 titres étaient disponibles sur les plates-formes de téléchargement, contre 350 000 titres en magasin. Mais Tariq Krim doute du succès de l'entreprise : "Le téléchargement légal propose des formats compressés et un paiement à l'acte. Alors qu'il faudrait un forfait de 10 à 15 euros par mois."
Les experts s'accordent à penser que le on-line constituera demain une "offre de complément" et non de "substitution" au CD. En fait, il est probable que deux clientèles coexisteront demain : ceux qui s'alimenteront au titre sur le Web pour constituer des compilations, ceux qui resteront fidèles à la notion d'oeuvre (à commencer par les mélomanes et les amateurs de jazz), et donc au CD.
L'enjeu sera de réhabiliter l'objet auprès des enfants du Web. Actuellement, le marché est porté à bout de bras par les plus de 35 ans, et ceux qui ont connu l'âge d'or du vinyle ont sans doute achevé de reconstituer leur discothèque. Denis Olivennes parle de "réenchanter le produit physique avec une politique de renouvellement, notamment en ce qui concerne le packaging" .
Seule certitude, le prix du CD déterminera son avenir. L'arrivée de nouveaux acteurs dans la distribution, comme les opérateurs de réseaux câblés et de télécommunications (Apple sera bientôt rejoint par Microsoft, Yahoo ou Google), obligera à mettre fin à cette politique de Yo-Yo tarifaire qui n'a cessé de susciter la méfiance de l'acheteur.
Pour André Nicolas, responsable de l'Observatoire de la musique, qui vient de publier son rapport 2004, "il y a nécessité pour les professionnels du disque d'examiner le rôle de ces entrants qui, à terme, vont financer la production. Car c'est tout de même une société informatique - Apple - qui a imposé le prix à l'international pour la distribution en ligne : 0,99 euro le titre et 9,99 euros l'album" . Cette concurrence a déjà provoqué une baisse drastique du prix du CD dans les magasins, avec des opérations spéciales à moins de 9 euros.
Bruno Lesprit
Article paru dans l'édition du 30.04.05 Le Monde
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