par jb » 13 Oct 2005, 11:44
Les inrocks (désolé pour les éventuelles erreurs d'OCR) :
DEPECHE MODE
Plus Gore que jamais
Playing theAngel, nouvel album nostalgique d'un groupe longtemps sous-estime, renvoie directement au début des années 80, qui fit sa gloire. Flash-back.
Par Arnaud Viviant
Le nouvel album de Depeche Mode n'est donc que le onzième en vingt-cinq ans de carrière. C'est dire si on n'a pas beaucoup presse le citron de ces petits gars-là et si Daniel Miller le cinquième Depeche Mode, leur Brian Epstein, les a couvés sans craindre l'usage du temps, mais en supputant au contraire l'en-
semble de ses ruses. Après tout, le temps n'est-il pas comme ces Peaux-Rouges qui marchent à l'envers pour laisser des traces inversées et tromper l'ennemi ? Bien sûr, les membres de Depeche Mode ne s'adorent plus beaucoup entre eux. Et seule leur petite entreprise arrive encore à les maintenir un peu ensemble. Pourtant, ils sont toujours en vie et font toujours envie, contrairement à tant d'autres. Naturellement, Dave Gahan a eu des problèmes de drogue et le plus sûr endroit pour le rencontrer, à New York comme à Paris, est désormais une réunion des Narcotics Anonymous. Martin Gore a maintenant un petit bidon, mais toujours les ongles peints en noir et un collier de chien autour du cou. ça fait plaisir. Il a visiblement profité de ses royalties pour se refaire les dents : du beau travail, un peu trop même. Martin est en ce moment dans un "big divorce, Californian style", comme dirait Neil Young. Il raconte qu'il a dédié à ses enfants le nouveau single, Precious, un hit tellement suave et langoureux qu'il pourrait très bien passer comme une lettre à la poste sur RTL.
Sans doute l'a-t-il fait pour que ses gosses comprennent un jour ce que papa était en train de fabriquer quand maman pleurait trop fort. Bah, de la pop.
Non, sérieux, Martin va bien. Mais il y a de quoi, le nouveau Depeche Mode étant plus Gore que jamais, même si on y croise, en sourcillant à peine, trois titres de Dave Gahan qui se prend pour un auteur depuis son pas bien fameux album solo, dont le meilleur morceau était signé Nick Cave. Bref. Martin, qui ressemble toujours à ce garçon coiffeur qui aurait réussi à racheter les trois autres salons branchés de la ville, signe les neuf autres titres - dont trois pépites : Precious, le premier single ; John The Revelator, une tuerie dance-floor 8o's absolue ; et, tout au fond de l'album, Lilian, une petite chose toute simple, presque godiche, sur trois accords, et qui pourrait être la réplique electro du merveilleux et trop méconnu I Love You, Suzanne de Lou Reed. En somme, pour Gore, c'est la gloire. Il raconte en riant comment le département "recherche marketing" d'EMI, après consultation d'un panel d'auditeurs, lui a conseillé d'accélérer le nouveau single d'1.5 afin de le rendre plus attractif en radio, et comment il les a envoyés se faire foutre. Martin est un artiste. Pas un salarié des majors. Il est désormais chanté par les plus grands : Johnny Cash (la reprise luthérienne de Personal Jésus : "Johnny Cash croyait plus en Dieu que moi") ; Marilyn Manson (la reprise luciférienne du même titre par l'antéchrist de la pop himself !) ou encore le Français Sylvain Chauveau.
Celui-là, on l'avait repéré il y a quelques années avec un très bel album de gymnopédies ambient-rock : Le Livre noir du capitalisme. Comment décrire en effet autrement ces piécettes instrumentales qui semblaient relever à l'époque d'un genre musical tout à fait nouveau : la musique de chambre de bonne ? Or Chauveu publie aujourd'hui Down to the Bone, an Acoustic Tribute to Depeche Mode. Soit onze reprises baroqueuses, à l'os, enregistrées avec un ensemble de musique classique, qui montrent que le songwriting de Martin Gore résiste, toutes périodes confondues, à l'absence de machines et à son ralentissement en musak classique. Sympathique par son côté "faute de mieux" (L’Unplugged que Depeche Mode n'enregistrera pas, même si l'émission, c'est heureux, va reprendre sur MTV), ce disque de Chauveau est aussi anachronique. Il évoque en creux ceux, "corbeaux", qu'on écoutait aussi au milieu des années 80, assis sur des poufs à côté de filles qui n'en étaient pas, filles plutôt baudelairiennes, difficiles à surprendre, qui buvaient des infusions à la bergamote en écoutant, pour les meilleures d'entre elles, Eyeless In Gaza, And Also The Trees, This Mortal Coil... A l'époque, aucun de ces groupes, tous plus prétentieux les uns que les autres, il faut bien le dire, n'auraient jamais revendiqué l'influence de Depeche Mode. Ce retournement historique qui voit maintenant Depeche Mode être considéré à juste titre comme le paragon du groupe gothique et de la "death disco", est en somme comme la fameuse blague du corbeau tenant dans son bec un fromage, qu'on doit encore se réciter dans ce qu'il reste du fan-club de Dead Can Dance. Contre toute attente, comme on dit à la télé, le renard Depeche Mode l'a emporté. Un peu comme si chez nous, à l'époque de Bob Morane, on nous avait dit qu'on écouterait encore Indochine au XXIe siècle... C'est précisément au début des années 80 que nous ramène directement le nouvel album, Playing The Angel. C'est bien connu, qui fait l'ange fait la bête, et nous voilà avec ce disque comme précipités dans une de ces infernales machines à remonter le temps ; lesquelles sont toutes aussi et surtout, comme chacun le sait,'d'infernales machines à démonter le temps. Et celle-ci est garantie : Playing the Angel est certes un disque fait avec des machines, mais avec de vieilles machines. Quel son, à la fois électronique et sale, bourdonnant et scintillant, avec un souffle incroyable ! Le souffle, très exactement, sec et frais comme l'haleine d'un cocaïnomane des années 80. Il semble que, sur ce point, l'apport du producteur Ben Hillier ait été essentiel. Hillier n'est pas très connu, mais il a tout de même réalisé un album de Blur : une référence de sacrés pinailleurs au compteur. C'est vi-iblement un amateur de musique électronique qui doit écouter plus souvent Pierre Henry que Depeche Mode. Mais Hillier a eu l'idée : il est allé chiner sur Internet les vieux synThetiseurs, les vieilles boîtes à rythmes des années 80, celles que Soft Cell ou Eurythmics utilisaient pour Tainted Love ou Sweet Dreams. Mais enregistrées avec la technologie perfectionnée d'aujourd'hui, d'où ce sentiment de matière et de souffle. Le reste, ce sont les chansons de Martin Gore. Ces espèces de vieux blues électroniques sur le thème de la douleur et de la peine ("Dave dit que j'écris toujours la même chose ; mais la douleur et la peine sont deux sentiments extrêmement différents", raconte Martin avec la tête du gars qui s'y connaît en masochisme). Où, dans la bonne vieille tradition du blues, les métaphores bibliques, vaguement retournées sexuellement, s'enfilent comme des perles. "Je pense que mon songwriting est plus proche de Bob Dylan ou de Neiî Young que de Kraftwerk", explique Martin.
- Dave Gahan chante divinement bien, avec sa voix de petit marquis écorché, de cygne noir. Mais loin de sombrer dans la préciosité, le résultat reste toujours confondant de simplicité, avec ? cette musique faite, comme le blues, d'autant de vides que de pleins. 0 temps, suspends ton Violator ! Avec Playing the Angel, Depeche Mode effectue un saut dans le temps digne d'Austin Powers : mojo, baby! ||
Playing The Angel (Mute/EMI), sortie le 17 octobre.
Sylvain Chameau, Down to the Bone, an Acoustic Tribute to Depeche iMode (DSA/Wave), sortie le 25 octobre.
But of course darling it's normal