Quelques fois on va au cinéma et rien ne se passe comme prévu : le film n’est pas aussi bon qu’on l’aurait souhaité, la salle est surchauffée, votre voisin de devant est non seulement trop grand mais en plus il mange du pop-corn en commentant le film, pendant que le gamin hyperactif derrière votre siège ne peut s’empêcher de vous donner des coups de pieds dans le dossier de votre fauteuil.
Et puis quelque fois, ça arrive une à deux fois par an, toutes les conditions sont réunies pour vivre un vrai moment de cinéma, un grand moment de cinéma. Réfugié au fond d’un fauteuil de velours rouge, vous êtes bien, tranquille, détendu, votre esprit reposé est disposé à recevoir toute l’émotion qui va maintenant surgir sur l’écran. Lumière noire, 24 images/seconde, et sans prévenir vous voilà tout d’un coup happé, hypnotisé et séduit plus qu’il n’en faut par un film grandiose.
C’est ce qui m’est arrivé avec La graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche.
Alors on suit Slimane, un homme de 60 ans qui se retrouve sur le carreau, licencié des chantiers navals de Sète. Accompagné de Rym qu’il considère comme sa fille, il va tenter de prouver à sa famille et surtout à lui-même qu’il n’est pas aussi inutile qu’on le pense, et que le moment de rentrer au bled n’est pas déjà arrivé.
Dès les premières images, dès les premières notes de musique, on est dans le film. Cette façon si proche de filmer les gens, cette proximité avec les bouches, les gestes et les regards nous donne instantanément l’impression d’être au cœur des événements, en compagnie des acteurs, de partager leur vie, de participer avec eux à l’écaillage du poisson ou de déguster ensemble un couscous à la table familiale.
Kechiche prend son temps (le film dure 2h30) pour filmer la vie d’une famille et son quotidien, et les situations les plus banales deviennent étonnement magnifiques à travers le prisme de sa caméra. Son cinéma est subtil, jamais caricatural, les non-dits sont aussi puissants que la tchatche incontrôlée de certains. Sous le couvert d’une histoire assez banale, il aborde pleins de thèmes sociaux, familiaux et culturels qui le font comparer aujourd’hui à un Ken Loach français. Il nous offre également un film d’une profonde sensualité ; ici la nourriture se déguste à pleine bouche, les femmes sont girondes et magnifiées et surtout on succombe sans résistance à une sublime danse du ventre. Et si ce film bénéficie d’une mise en scène maitrisée, il n’en est pas moins aidé par des acteurs à tomber par terre. Habib Boufares, en vieux sage fatigué mais néanmoins déterminé, impose une présence incroyable à l’écran. Et il y a surtout LA révélation du film, Hasfia Herzi, une demoiselle de 20 ans qui éclabousse l’écran de sa beauté et de son talent à chaque scène.
Des rires, des larmes, du suspense et de l’action. Un vrai moment de cinéma je vous dis.
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