C’est le propre des groupes passés du statut de musiciens à celui d’icônes : une fois leurs années de référence accomplies, ils deviennent transparents tout en continuant de remplir des stades à travers le monde. On pourra donc ne pas s’apercevoir que Depeche Mode sort cette semaine son douzième volume en vingt-huit ans, le très sobrement autoproclamé Sounds of the Universe, et s’apprête à décoller pour un énième world tour qui passera en juin-juillet par la France (Paris, Nancy, Carcassonne).
Sauf que c’est un disque très honorable, et que la musique du trio de Basildon a gagné un supplément de sens après l’intensive relecture des sons eighties que le monde musical a pratiquée depuis 2005, date de sortie du dernier album siglé DM. Les synthés au son spatial, les boîtes à rythmes très sèches, les lignes de basse mécaniques… Autant d’éléments que Depeche Mode a propulsés dans le Top 50 pendant sa première décennie d’existence. Autant de sonorités qui font la pop d’aujourd’hui et qui poussent les plus jeunes à écouter enfin leurs premiers albums. «Nous aimons penser que nous avons encore un sens et que nos disques peuvent toucher un public jeune, estimait récemment Andy Fletcher, porte-parole autodésigné du groupe. On a toujours dit qu’on arrêterait quand Depeche Mode ne serait plus pertinent… Maintenant, ça fait dix ans qu’on dit qu’on n’en a plus pour longtemps.»
Et Martin Gore, le compositeur, d’enchaîner : «J’ai commencé à écrire les chansons de ce disque avant que les sons des années 80 ne reviennent vraiment. Tout cela vire souvent au pastiche général ! Nous, on continue à avancer en écoutant des trucs que même ma fille aînée, qui a presque 18 ans, trouve bizarres.»
Ingrédients. En 2009, la cuvée Depeche Mode reste de fait tranquillement à jour en réajustant une nouvelle fois le dosage des ingrédients qui font sa réussite depuis 1981 - pop synthétique, noirceur industrielle, inventivité accessible. Le curseur pointe cette fois encore vers l’électronique, un domaine que Gore et compagnie maîtrisent mieux que les sursauts de guitares électriques.
Cela étant, Depeche Mode se maintient sans forcer dans cet interstice que peu de groupes fréquentent : celui du succès populaire mérité. Comme un quadra qui fait ses quatre heures de sport par semaine, Sounds of the Universe se joue de ses obligations tubesques en deux titres efficaces sans être magistraux : le martial Wrong et son clip flippant, puis le romantique Fragile Tension. On y ajoutera le frissonnant Jezebel, chanté par Martin Gore.
Pour le reste, Dave Gahan se permet de chanter de mieux en mieux et signe à nouveau trois des treize chansons, Martin Gore écrit des textes de plus en plus cyniques et Andy Fletcher continue à ne rien faire à part protéger le talent de ses deux compères.
Bonus. C’est en observant la machine marketing mise en place autour de ce douzième album qu’on s’aperçoit que quelque chose a pourtant fondamentalement changé depuis 2005. Où le groupe, connu pour ne composer que ce dont il a besoin, a-t-il trouvé la pléthore de bonus casés dans les multiples éditions de ce disque : CD + DVD, box collector, abonnement privilège sur iTunes Store (lire ci-dessous), etc. ? C’est Martin Gore qui a la réponse : «Je ne veux pas avoir l’air d’un chrétien born again parce que je ne le suis vraiment pas, mais le gros truc qui a changé ma vie depuis trois ans c’est que j’ai arrêté de boire. J’avais peur de perdre ma créativité, mais c’est l’inverse qui s’est passé.»
Dave Gahan ayant pour sa part stoppé les substances chimiques il y a une douzaine d’années, après avoir eu le temps de claquer une bise à la mort un jour qui n’était pas fait comme un autre, Depeche Mode est donc désormais officiellement un vieux groupe rangé et concentré sur sa musique. Avec ses airs de préretraite sonique, Sounds of the Universe baigne dans une classe un peu avachie, mais encore tout à fait respectable.