par The X Phil » 03 Juin 2007, 12:07
En faisant appel au photographe rock Anton Corbijn (responsable du visuel de Depeche Mode et U2 entre autres) pour réaliser la bio de Ian Curtis, il paraissait clair qu'on allait vers le film de geeks destiné aux fans de Joy Division.
Ben en fait pas vraiment. Parce que Corbijn se défend d'avoir fait une biopic, un film rock, l'illustration de la vie d'une star alternative qui s'est brûlé les ailes. C'est surtout un vrai film, bien différent de ces biopics comme on en voit trop, derrière lequel on trouve à la fois le désir de raconter Ian Curtis tel qu'il était, mais aussi un vrai projet de cinéma.
Basé sur le livre « Touched from a distance » de la veuve Deborah Curtis, « Control » est un portrait à charge de Ian, mais ne ressemble jamais à un règlement de comptes (il paraît même que le chanteur apparaît dans le film plus sympa que dans le livre – qu'est-ce que ça doit être !). Loin des frasques « sex, drugs and rock and roll », le film décrit un homme paumé, inadapté à la vie, en proie à des crises d'épilepsie et à des traitements lourds qui le détruisent petit à petit. A son calvaire personnel, qu'il exorcise dans des textes noirs et lucides, répond le calvaire de son entourage. Et c'est là où le film de Corbijn trouve sa spécificité, en décrivant les tourments des autres personnages, et principalement de Debbie, avec la même précision que ceux du personnage principale. Deborah Curtis (phénoménale Samantha Morton) finit par emporter l'empathie au même titre que Ian, figure mythique qu'on pensait prêts à suivre jusqu'au bout et qui se révèle finalement comme un être humain « normal ». Cette originalité se retrouve dans la structure du film : si la première heure couvre 4 ans de la vie du chanteur et du groupe, la seconde heure se concentre sur les 6 derniers mois, où la musique passe au second plan derrière les problèmes de Curtis avec sa maladie et le choix impossible entre son foyer et la jeune belge dont il est tombé amoureux. Cette second heure pourra paraître un peu longuette, mais c'est elle qui fait le prix du film.
Bien sûr, l'ex femme du chanteur étant à l'origine du film (elle en est aussi co-productrice), on pourrait douter de la bonne foi de ce qui nous est montré. Ce n'est jamais le cas, parce que le film a la volonté d'attaquer son sujet frontalement et sans détours (Debbie passe elle aussi pour une chieuse, et c'est limite si on se dit pas des fois qu'elle mérite que son mari se détourne d'elle). Et comme Corbijn a connu Ian Curtis et que les membres de New Order ont eu un droit de regard sur le scénario, « Control » transpire l'honnêteté.
Dans sa réalisation Corbijn refuse tout effet facile, et va là aussi à l'encontre des biopics classiques. En utilisant le noir et blanc, en ayant recours à un rythme posé, en supprimant toute afféterie visuelle, le réalisateur livre un film sec et brut, proche parfois du documentaire. Le film est réalisé comme les chansons de Joy sont enregistrées : avec un minimalisme qui aboutit à une efficacité rare. Ne pas croire pour autant que « Control » montre pendant deux heures des gens qui se morfondent dans le noir dans leur chambre; c'est un film plein de vie, d'humour (le perso de Rob Gretton est immense, Peter Hook passe pour un gros bourrin cynique...), qui prend aux tripes par sa simplicité même.
Il y a fort à parier qu'on trouvera des fans hardcore pour pinailler sur tel ou tel détail, ou pour refuser la vision ambiguë de leur chère idole... Le fan hardcore est souvent un con, et tant pis pour lui s'il bloque sur ça.
Car si la volonté de Corbijn est de faire un film pour tout le monde, il veut aussi offrir un formidable cadeau aux fans de Joy Division. Et de ce point de vue, il est extrêmement difficile d'être objectif devant « Control » (je veux dire que pour moi c'est encore plus dur que d'habitude !). On ne découvrira pas grand-chose qu'on ne savait pas, mais tout ce qui est lié au groupe constitue un festival de scènes enthousiasmantes. L'histoire de Joy division était déjà un élément du film « 24h Party People », mais le film de Corbjin enfonce celui de Winterbottom qui se limitait à l'anecdotique, et tournait autour de Tony Wilson, pas du groupe. On retrouve des séquences en commun dans les deux films, mais leur pouvoir évocateur est bien plus fort dans « Control ». La formation presque accidentelle de Joy Division, leurs premiers concerts, l'écriture et l'enregistrement des morceaux de « Unknown Pleasures », la signature chez Factory, "Transmission" à l'émission de Wilson, la tournée en Europe... jusqu'à la formation implicite de New Order à la fin. Corbijn aligne les séquences jouissives, et c'est un vrai bonheur. D'autant que les acteurs sont largement à la hauteur (Sam Riley en tête : on croirait voir Ian Curtis ressuscité)... et réinterprètent eux-mêmes les chansons de Joy ! Ca aurait pu être une très mauvaise idée; au contraire ça donne des versions inédites de « Dead Souls », « Isolation », « Disorder» et autres, très fidèles aux originales mais surpuissantes. Seul le chef d'oeuvre des chefs d'oeuvre « Love Will Tear Us apart » reste intouchable. Et la bande-son est augmentée des chansons de l'époque que Curtis écoutait (de Bowie à Iggy Pop) et d'instrumentaux de New Order.
On ne verra évidemment pas le suicide de Curtis, filmé hors champ par un réalisateur qui refuse encore le pathos facile. Mais toute la fin du film est un calvaire pour le spectateur, où la tension et l'émotion monte sans arrêt. On sait ce qui va se passer, on le craint, et Corbijn joue avec nos nerfs en nous distribuant des baffes émotionnelles à répétition. La toute fin du film, évidemment sur la chanson « Atmopshere » (pour laquelle Corbijn avait réalisé un clip posthume) est saisissante, et j'étais à 2 doigts de chialer quand apparaît le carton « Ian Curtis is born on 15 July 56. He died on 18th May 80 » (malheureusement, la chanson de Joy est remplacée par une reprise de « Shadowplay » par The Killers, sympa mais déplacée, qui diminue la force de la fin).
« Control » est une bio filmée à l'image du chanteur : sombre, complexe, toute en attraction/répulsion. Ian Curtis a traversé la vie comme un météore, se détruisant et détruisant tout autour de lui, mais laissant au monde deux albums et un tas de chansons magiques, des perles noires qui continuent de fasciner trente ans après. Corbijn en a tiré un film sobre et magnifique, qui fascinera lui aussi sûrement longtemps. C'est pas grand-chose, mais c'est quand même énorme.
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