Un peu de lecture
Cela fait bientôt quatre mois que le projet MG est disponible à l'écoute et dans ce sujet qui mélange informations et critiques, je vous propose, durant ce long entre-deux ( mais qui doit être toujours riche en réflexion ) une petite chronique sur cet album instrumental. Je l'ai rarement écouté pour lui-même, ce qui ne m'a pas empêché d'être attentif. Parfois un détail peut venir s'ajouter de manière significative aux écoutes distraites qui s'accumulent alors qu'une écoute trop concentrée peut ne rien apporter. C'est donc de manière très progressive que ce disque peut agir sur la conscience. MG commentait mes virées dans la région quand il s'est agi pendant quelques semaines d'aller me remeubler. Rituel de la musique électronique pour rester concentré sur des actions précises et rationnelles. Mais bientôt la musique de Gore a pris une autre dimension pour devenir plus attachante.
Le musicien dans ses interviews parle d'une progression volontaire, d'un ordre, pensé, choisi, indépendamment des deux périodes séparées de composition ( durant et après Delta Machine ). Cette vue d'ensemble est au départ difficile à cerner et on peut croire au bavardage promotionnel. Même si la voix humaine est absente et qu'elle aurait pu contribuer de manière plus évidente à cette idée de progression, on perçoit pourtant quelque chose d'unitaire, d'unifié propre à un album. Il s'agit à présent de le formuler, au-delà du ressenti, comme si on avait la prétention d'en discuter avec Martin.
Bien que les morceaux soient d'une durée similaire, c'est bien au début du disque que nous en restons à la simple esquisse ou à la simple association sonore, non mélodique, aussitôt interrompue pour laisser place à un nouvel échafaudage. Comme des suggestions, des hypothèses : « Swanning », « exalt » voire « Elk » sont dans l'attente, ce sont des stations temporaires et temporelles vers des morceaux plus affirmés comme « Brink » et « Europa Hymn ». C'est un premier point de progression, mais assez grossier en comparaison de ce que notre fréquentation peut révéler ensuite.
En réécoutant les premières mesures de « Pinking » je note quelque chose dans la voix de basse qui charrie un sillon que l'on retrouvera, sous la forme d' un enveloppant sentiment d'unité, dans les traînées centrales très marquantes de « Southerly ». Comme si ces accents grandioses, ces notes spectrales fluctuantes doublées de notes graves réclamaient depuis le début de l'album. A cet endroit déterminant quelque chose d'essentiel s'accomplit, difficilement exprimable, mais qui concerne l'album en son entier et que les nappes basses de « Pinking » annonçaient clairement. Il faut du temps pour s'en rendre compte mais je pense que l'on touche dans ces quelques mesures un point qui entre dans cette approche ensembliste dont Martin se réclame et à l'intérieur de laquelle il peut se permettre nombreux détours et fantaisies ( comme la chasse aux moustiques au début de « Stealth » ). Ces correspondances internes sont fines et nécessaires lorsque la mélodie est absente ( ou quasiment absente – en tout cas ni tangible ni spontanément mémorisable ). Toujours est-il que la fonction de « rémanence » ou de « récapitulation » de « Southerly » est essentielle. « Southerly » transporte efficacement à lui seul beaucoup de perceptions et d'imaginations qui ont été égrainées dans le reste de l'écoute. De ce point de vue, c'est assez passionnant. Martin Gore peut alors clore son album en restant d'abord à la surface ( « Featherlight » ) puis en nous laissant dans une profonde douceur gorienne avec « Blade ». Ce dernier allie parfaitement le jeu sur les textures ( ces variations sur les doublures, un délice ) avec un thème bancal mais charmant qui explore la gamme. « Blade », c'est encore et toujours cette errance numérique justifiée uniquement par le plaisir crée par le matériau vivant du synthétiseur que l'on retrouve jusqu'aux battements de cœur et les pelletées de sable qui rythment le morceau. Ces éléments organiques dévoilent la dernière arête sonore de l'album, comme à la fin du Rendez vous de Jean Michel Jarre.
Aux premières écoutes ce sont plutôt des morceaux comme « Brink » et « Europa Hymn » qui se remarquent davantage, ne serait-ce parce qu'ils constituent un enchaînement très contrasté. Le premier, au départ, impressionne par son côté industriel. Les écoutes purement physiques, très tentantes, se répètent indépendamment du reste. Le deuxième a servi de single, il se démarque par son potentiel lyrique ( au sens où il aurait pu servir de base pour une chanson ) et par cette impression de pierre angulaire qu'il laisse rapidement sur l'ensemble. Finalement il n'arrive qu'au tiers de la progression et au fil des écoutes complètes, il faut apprendre à voir plus loin dans la structure intime et cachée de l'ensemble, car il y en a bien une et ce qui rend le tout très attachant, même si notre mémoire mélodique est très peu sollicitée.
Le tout est agencé dans un mixage impeccable ( c'est la moindre des choses me semble t-il dès que la voix disparaît ) qui rend le disque très performant sur des supports et conditions d'écoute variés. Peu de réverbération gourmande et pourtant beaucoup de relief, à l'image des sandwichs végétariens auxquels le musicien doit maintenant se tenir entre les sessions. Le support plastique, quant à lui, celui qui, comme les pochettes de Violator ou Music For the Masses, conditionnent la coloration mentale de notre écoute, est épuré, agréable aux contacts visuels et tactiles. Il est en adéquation avec les fines impressions qui se dégagent de cet opus récréatif et stimulant.
