
Quelle que soit sa teneur et l'effet premier qu'elle procure, renouer avec la production de Depeche Mode est toujours vivifiant. On peut bien se poser des questions sur ce qui adviendra par la suite, album, concerts mais force est de reconnaître que quelque chose de vraiment unique se met en marche à chaque fois.
Après de nombreuses boucles dans le salon ou dans l'auto, Where's The Revolution tourne maintenant suffisamment dans ma tête pour pouvoir écrire dessus et vous faire partager mes impressions. Beaucoup rejoignent celles restituées ici, vous pardonnerez s'il y a parfois redite sur ce que nous avons perçu en commun.
Il est vrai que les influences d'autres morceaux sont nettes, à la différence des single Wrong et Heaven qui, quoi qu'on dise, présentaient un matériau nouveau. Corrupt, bien sûr, pour les couplets, mais dans un habillage sonore Delta Machine très loin du côté rêche de Sounds Of The Universe, ce qui est pour me convenir davantage et ne me fait penser en aucun cas à de la récupération. Nombreux sont les cinéastes qui avouent refaire le même film. On goûte Monet dans la multitude de ses toiles, en y trouvant de nombreux traits communs. Je ne vois pas pourquoi il n'en serait pas de même pour les musiciens qu'on aime et qui jouent un rôle singulier dans notre vie, bien que je sois parfaitement conscient des limites de ses comparaisons dans leur application à la musique. D'où les nombreux retours de Gimmicks qui ont été signalés, on pourrait leur ajouter la boucle qui ressort au tout début et qui manifestement est la même que celle qui doublait les voix sensuelles au début de Dangerous.
L'extension album qui va jusqu'à cinq minutes risque de créer comme une sorte de processus de recommencement à l'écoute de Spirit, après Going Backwards qui aura encore, certainement, un rôle solennel d'ouverture. Les choses ensuite, j'imagine, pourront s'accélérer dans le reste de l'album. Toujours est-il que cette extension paraît curieusement longue pour un premier lancement mais elle permet en même temps de bien s'installer dans le son, ce son galvanisé qui moi me plaît tant depuis Playing The Angel. Ils peuvent y placer des traits déjà utilisés, cela ne me dérange pas. Dans cette durée on est donc conduit à entendre le refrain sur trois séquences différentes, deux fois avant le pont et une fois après celui-ci, ce qui peut paraître en effet beaucoup étant donné sa nature entêtante. Comme certains l'ont souligné, il faut ajouter à cela qu'il nous était déjà connu d'avance. Cela donne quelque chose d'un peu pesant, d'ampoulé au morceau mais qui en même temps, c'est l'art du paradoxe chez Depeche Mode, me paraît justifié par rapport à cette révolution qui finalement n'arrive jamais.
Toujours, dans la musique bien construite, voir dans la fin la promesse d'un beau début. Cette perception fine est à l'oeuvre dans Where's The Revolution. La dernière occurrence du refrain est appuyée par des basses typiquement goriennes reprenant l'obsédant rythme mimé par la nuque du compositeur à boucles, le nez dans ses modulateurs. Ce dernier aplat me plaît beaucoup. J'y vois une brèche d'album, une porte possible et inquiétante, comme celles que le groupe ouvrit ensuite dans les concerts, parfois sous forme d'intro. J'y entrevois quelque chose de lourd et de processionnel qui pourrait rivaliser avec le rôle prédéfini ( mais à vérifier, naturellement ) de Going Backwards. Ces basses gourmandes – qui dans le mixage auraient peut-être pu se profiler comme ses arêtes imperceptibles qui arrivaient à nos oreilles dans Playing The Angel et qui posaient souvent la question : quand le son naît-il vraiment, quand quitte t-il vraiment ? - me rappellent les moments les plus généreux de l'album solo MG. J'espère entendre ces mesures développées, étendues, davantage exploitées. En repassant en tête de morceau, elles pourraient faire de Where's the Revolution une ouverture idéale de concert, laissant d'ailleurs le temps à Dave, grâce aux petites pauses des couplets, de bien se concentrer sur son placement de voix comme il a toujours besoin de le faire. Je suis en tout cas curieux de savoir comment se fera la cohabitation entre le single et la chanson qui ouvre l'album.
La version retenue pour le film d'Anton Corbijn élimine cette grave ponctuation, réduit le morceau d'une minute pour lui donner une dimension plus immédiate, efficace, le film venant, lui, ajouter encore plus de substance à ce qu'on a retiré.
Plans plus larges, mouvements d'appareils, gestion des ensembles et montage impeccable, l'expérience des longs métrages comme A Most Wanted Man et The American qui ont succédé à Suffer Well profite clairement au résultat. Tout en gardant, et c'est là sa force, le grain Corbijn des premières illustrations en noir et blanc.
Bien qu'il y ait du référentiel et du symbolique historico-politiques ( rappelés et précisés avec acuité par certaines d'entre vous ) très marqués dans ce film, celui-ci parvient me semble t-il à garder une distance suffisante, sans tomber dans le fameux « messaaage... » à quoi on réduit trop souvent les œuvres. La partie « chorégraphique » du pont confirme d'ailleurs le second degré qui est la signature des films DM, pour nuancer cette noirceur qu'on leur attribue trop facilement.
C'est le moment pour moi d'insister une nouvelle fois, comme beaucoup l'ont fait, sur la beauté musicale du pont dans ce morceau. Ces litanies païennes entonnées en choeur me charment beaucoup. Une piste nous fait entendre Martin reprendre avec nostalgique la question phare, en écho, pour installer l'espace de quelques mesures une atmosphère désolante et rêvassante de galerie marchande désertique. Dans cette partie, de plus en plus mon inconscient me fait entendre davantage « the dream is coming » que « the train is coming »... le rêve n'est-il pas une dimension trop oubliée de la révolution ?