par The X Phil » 28 Juin 2007, 19:15
ma critique complète de l'album :
Au moment de sortir son troisième album « Our love to admire », Interpol est dans une situation étrange.
Le groupe est pour beaucoup (tout ?) dans la renaissance récente d’une new wave moderne dans laquelle nombre de groupes se sont engouffrés avec plus ou moins de bonheur à la suite de leur album séminal de 2002 « Turn on the bright lights ». Or, à l’époque, seule une petite frange d’amateurs de rock alternatif avaient sauté sur ce disque et colportaient partout la bonne parole comme quoi « Interpol c’est génial et ça déchire sa race ». En France, c’est surtout leur concert mémorable à la Route du Rock qui avait lancé le buzz – forcément, sauter dans la boue sous la pluie en écoutant « Obstacle 1 » a tout de l’expérience indélébile fondatrice de culte. Avec leur second disque « Antics », ils avaient alors explosé à la face du monde, en profitant de la vague qu’ils avaient initiée à un moment où tous les autres groupes à la mode faisaient la même chose qu’eux. Du coup, la plupart des fans de la première heure ont boudé ce second disque – ce qui n’est pas mon cas puisque je le trouve meilleur que le premier, mais passons…
Avec ce troisième disque, le groupe se retrouve donc aujourd’hui à devoir capitaliser sur le disque qui les a fait connaître, tout en essayant de ne pas décevoir ceux qui les ont suivi dès le début.
S’il y parvient – parce qu’il y parvient – c’est en assurant une synthèse entre leurs deux disques précédents, tout en opérant une ouverture vers d’autres horizons. C’est donc un album hybride, où Interpol retrouve les racines de sa musique, continue d’explorer la veine plus pop rock de « Antics », et veut aussi sonner différent pour ne pas lasser. Une ambition qui le rend assez complexe, difficile à appréhender… et qui le handicape un peu. C’est en effet probablement leur moins bon album jusqu’ici (quoique : il faudra le laisser mûrir un peu pour en être vraiment certain), le groupe cherchant plus à travailler sur la structure de leurs chansons qu’à rendre des morceaux vraiment accessibles.
Mais bon, on va pas se plaindre d’avoir affaire à un album exigeant – même si le second de Bloc Party, sur le même principe, est plus réussi – ça serait quand même un comble ! D’autant que le disque en l’état est une petite merveille alternant les morceaux d’ambiance et les chansons plus rock. Le son du disque a bénéficié d’une attention accrue par rapport aux deux précédents disques, avec un travail de mixage impressionnant et des arrangements inédits jusqu’ici chez eux. La section rythmique, à la base de la musique du groupe, en sort renforcée, avec une batterie tentaculaire et martiale et une basse plus que jamais mise en avant. Les guitares (bien moins énervantes que chez Editors !) sont toujours envisagées comme des instruments d’appoint développant des boucles répétitives venant assurer la cohérence de l’ambiance. Et – new wave oblige – les synthés qui avaient toujours été utilisés parcimonieusement sont cette fois omniprésents pour développer des atmosphères planantes ou pour servir de contrepoint aux autres instruments. Quant au chant de Paul Banks, il s’affirme toujours plus, s’éloignant du registre purement Ian-Curtis-esque pour trouver sa propre spécificité tout en restant dans les tons qui ont amplement participé à la formule gagnante de Interpol.
Comme les autres disques du groupe, « Our love to admire » ne comporte que 11 morceaux (pouvant aller jusqu’à 6 minutes parfois, ce qui fait une bonne durée globale), dont quasiment rien à jeter (peut-être « Who do you think ? » - même si elle est pas honteuse).
Sorte de reflet du genial “Untitled” qui ouvrait le premier album, « Pioneer to the Falls » est une belle entrée en matière, lente et puissante. Les instruments entrent en scène les uns après les autres et la chanson offre une progression exemplaire. Interpol semble vouloir concentrer tout son savoir faire en une seule chanson pour épater d’entrée, et ça marche : c’est un des meilleurs morceaux du groupe. Les deux chansons suivantes jouent elles aussi sur leurs ambiances, d’abord « No I in threesome », qui ressemble à une chanson pop du groupe ralentie (par exemple un « Slow Hands » au rythme diminué de moitié) et qui est une vraie réussite, un étrange objet inclassable à la fois dansant et sombre. Puis « Scale » et sa rythmique lourde basée sur les répétitions et qui s’avère redoutablement insidieuse.
Le single « The Heinrich Maneuver » apparaît au premier abord comme une chanson simple et directe, mais se révèle plus complexe à chaque écoute, notamment dans les mélodies sans cesse changeantes de chaque instrument et du chant. C’est de toute façon une bombe qui fait juste du bien par où elle passe. « Mammoth » s’enchaîne idéalement au morceau précédent (je vois difficilement comment ça pourrait ne pas être le prochain single d’ailleurs), lui aussi un étrange morceau pop rock perverti par sa froideur et sa dureté, sorte de Franz Ferdinand en version méchante et désespérée.
Après ces deux récréations jouissives, la tension retombe avec « Pace is the trick », une superbe chanson lente et calme dans la droite lignée des compositions classiques du groupe, pas fondamentale mais très agréable notamment grâce à un refrain magnifique. Plus loin, « Rest my chemistry » est dans le même style, du pur Interpol comme on s’attend à en entendre dans le disque. Entre les deux chansons, « All fired up » est sûrement la chanson la plus rock du disque avec ses guitares déchirantes, sa batterie tribale, sa basse explosive et son côté « à l’arrache » - et c’est terriblement accrocheur. J’ai déjà dit que « Wo do you think ? » est un peu banale est moins bien que le reste, mais ça fait une respiration avant le final grandiose.
« Wrecking Ball » commence elle aussi comme du Interpol classique, doux et aérien. Mais le dernier tiers est un instrumental à base de guitares et de synthés qui noient un Paul Banks soudain lointain – c’est juste super beau. Et l’album se termine sur « Lighthouse », qui rappelle les expérimentations de Radiohead. La voix de Banks est couverte de réverbérations et étouffée, sur une plage de guitares trafiquées et de synthés. La musique ne cesse de monter et redescendre jusqu’à une fin lyrique, le tout donnant une impression étrange de cocon moelleux. Le disque se termine alors comme un rêve bizarre qui donne envie de tout réécouter dans la foulée.
Au final, « Our Love to Admire » est un album qui ne s'apprivoise pas facilement et qui nécessite plusieurs écoutes avant de se laisser aimer. Mais quand on a bien plongé dans son univers torturé, difficile d’en ressortir ! Il n’est pas étonnant que le disque n’ait pas été très bien accueilli jusqu’ici, mais je vois difficilement comment les fans du groupe pourraient passer à côté. Les membres d’Interpol savent très bien qu’ils n’arriveront plus jamais à provoquer le même choc qu’à leur début, mais ils continuent disque après disque, chanson après chanson, à explorer leur univers singulier. Le mieux à faire est de les y suivre et de savourer.