PornographyL'album Pornography sort il y a 30 ans, en mai 1982. Ce disque monstrueux à l'atmosphère glaciale et irrespirable peut être considéré comme le monument de la musique gothique. C'est sans doute également un des meilleurs albums du mouvement coldwave et des années 80, un sommet de noirceur mise en musique par des anglais visiblement dérangés... Grandiose mais jamais grandiloquent, pénétrez Pornography, la pierre angulaire de l'œuvre de The Cure.

« Peu importe si on crève tous » crache Robert Smith en ouverture de Pornography comme pour annoncer la couleur. Le ton est donné avec le morceau One Hundred Years qui fait office d'introduction sombre qui insiste sur l'absurdité de l'existence. La guitare lancinante et volontairement désagréable de Smith nous prend tout de suite aux tripes. La phrase d'introduction prononcée par Smith (« it doesn't matter if we all die ») est passée à la postérité dans l'histoire du rock gothique. A Short Term Effect est le second morceau de l'album. Son intro noire est magnifique. La batterie de Laurence "Lol" Tolhurst ne rigole pas, elle s'est transformée pour devenir effrayante l'espace d'un album. Cette rythmique tribale oppressante se marie à la complainte et au chant plaintif d'un Robert Smith qui dirige cette véritable messe noire au chant donc, mais aussi à la guitare et au clavier. Suit The Hanging Garden, le seul single du disque et morceau le plus connu de l'album (on est tout de même à des années-lumière du Cure pop calibré pour la radio) à la rythmique imparable. Dans ce jardin suspendu, personne ne dort, surtout lorsque la basse de Simon Gallup se fait hypnotique. Siamese Twins vient déjà clôturer la face A de Pornography avec son tempo plutôt lent et sa mélodie mélancolique qui font parcourir un frisson. « En est-il toujours ainsi ? » se lamente Robert Smith ?

Une face B en guise de descente aux enfers

En ouverture de la face B, The Figuread qu'on pourrait rapprocher de Siamese twins est explosif malgré un tempo également lent. Vient ensuite A Strange day, ou l'apocalypse semble poindre, un des morceaux les plus forts du disque même si Pornography est une véritable aventure (dont on ne sort pas indemne) qui s'écoute d'un trait et qu'il est bien difficile d'isoler tel ou tel titre. Cold est l'avant dernier morceau de l'album. On croirait entendre une marche funèbre, la guitare de Smith est quasiment absente, remplacée par une machine, en l'occurrence un clavier oppressant et glacial. En guise de conclusion, The Cure nous gratifie de l'effrayant morceau Pornography, ou Smith explique à qui veut bien l'entendre qu'il a besoin d'un remède. A la tombée de la nuit, la paranoïa et la folie semblent avoir eu raison du romantisme et de la dépression suggérés au début de l'album par les trois anglais.

Véritable descente aux Enfers (et version musicale de l'Enfer de Dante selon le critique rock Nick Kent), Pornography est un disque glauque et magistral qu'on déconseillera aux dépressifs. Ces 8 titres beaux et lugubres qu'il faut absolument écouter dans l'ordre pour s'immerger et apprécier sont une sorte de voyage dans le morbide et le glauque dont on ne ressort pas indemne. On pense à Joy Division et à l'album Closer, paru deux ans plus tôt, qui glace également le sang. The Cure démontre également avec Pornography qu'il n'est pas forcément nécessaire de sortir la grosse artillerie pour exprimer une violence certaine. Pornography, tranchant comme une lame de rasoir, vient clore la trilogie dite « cold » de The Cure après Seventeen Seconds et Faith. Il s'agit de l'album le plus radical du groupe, le plus sombre et le plus profond. Après cette véritable abime, The Cure changera de route pour s'orienter vers une bien plus tranquille carrière de machines à tubes. Si des albums comme Desintegration ou Bloodflowers flirteront par la suite avec le spleen et le pessimisme, ce cauchemar morbide hypnotique de 43 minutes restera unique en son genre. Pouvait-il en être autrement ?