Sounds of the Universe2009. Martin Gore sobre, Gahan de plus en plus intégré au processus de création et Fletch se hasardant à faire quelques commentaires musicaux en studio, certaines mauvaises langues annonçaient (logiquement ?) la chute imminente du groupe. Mais Depeche Mode, une nouvelle fois, prend tout le monde de cours. Lee Gore n'a jamais écrit autant de titres pour une session. Martine & Deïve ne se sont jamais aussi bien entendus. Fletch n'a jamais préparé d'aussi bons cafés. Bref. Tous les ingrédients sont donc réunis pour que ce douzième album soit, dixit Mister DJ, encore meilleur que le précédent, lequel était déja en son temps le meilleur de l'histoire du groupe (sic). Plaisanteries mises à part, nombreuses ont été les reviews de Sounds of the Universe dans la presse et sur les forums de France et de navarre. Mais plus rares sont celles qui se focalisent sur l'aspect musico-technique de l'album. C'est cette orientation particulière que je vous propose dans cette chronique dont les argumentations et les conclusions n'engagent bien entendu que leur auteur.

Analyse, titre par titre

In Chains

Comme je l'ai déjà dit par ailleurs, je ne comprends toujours pas comment la première minute dix n'a pas fait l'objet d'une piste indépendante (un peu à l'image du titre Speak to Me - piste à part entière - qui ouvre The Dark Side of the Moon de Pink Floyd : cette intro, d'une durée sensiblement identique, est en elle-même musicalement assez dispensable en présentant en intro quelques samples et effets extraits des titres qui suivent et qui constituent la trame de l'œuvre. La philosophie de ce titre et l'intro d'In Chains est donc assez similaire : il s'agit finalement de donner un avant-goût de ce que l'on va découvrir) que l'auditeur pourrait zapper une fois passée la surprise d'une telle intro. La prise son de la voix de Gahan est bonne. Les chœurs de Gore (et la reverb ajoutée) sur les couplets sont superbes. Le riff arrive au bon moment. La superposition progressive des différentes pistes de l'orchestration me semble juste et cohérente. Cela s'enchaine somme toute assez bien. Dommage que la boite à rythme ait été utilisée. Le titre manque de dynamisme. La batterie aurait sans doute donné au titre une autre dimension (celle qu'il a d'ailleurs en live) qui aurait été préférable pour ouvrir l'album. Au niveau de la structure, In Chains manque de ruptures. Il est trop linéaire. Il manque un break et un enchainement avec un final épique (car disons-le clairement, on se fait chier à partir du dernier tiers qu'on a l'impression d'avoir déja entendu 10 fois). La prod (qui n'est pas hors-sujet mais qui ne surprend pas vraiment) ne sauve pas cette faiblesse dans la structure. Au final, on se retrouve avec un titre long, répétitif et sans réelle inventivité. Le final en revanche est bien pensé et bien réalisé.

Hole to Feed

L'intro est originale. L'intervalle choisi pour les chœurs de Gore sur le couplet n'est pas le choix le plus mélodieux que l'on pouvait faire. En revanche, les backing vocals sont réussis sur le refrain. En terme de prod, toujours sur le refrain, l'ambiance est superbe. Le rythme récurrent utilisé par la boite à rythme (qui aurait également pu être avantageusement remplacée par une batterie, même si le dynamisme en pâtit moins que sur In Chains) et l'emploi des gimmicks sont intéressants (même si en terme de mixage, leur volume me semble trop faiblard) en ce qu'ils donnent une vraie empreinte, une vraie personnalité au titre. Et contrairement à In Chains, Hole to Feed a une structure mieux pensée avec l'insertion d'un pont judicieux où les harmonies sont réussies. L'outro, comme l'intro, est à la fois originale et homogène par rapport à l'ensemble du titre. En résumé, je trouve ce titre réussi, contrairement à l'opinion de pas mal de monde.

Wrong

Je trouve la ligne de basse puissante et efficace. Belle performance de Gahan sur une ligne vocale difficile (conciliation de la justesse - dans les graves et dans les aigus - et du souffle, compte tenu du débit de paroles). Gahan n'abuse pas du staccato, tant mieux. Le mixage est précis et judicieux, sur les voix et le reste de l'orchestration. La prod est léchée (le pont est une merveille, mais un peu court). Les ambiances sont peaufinées. Le titre présente d'indéniables originalités (pas de refrain, débit de paroles, style de lyrics - tout est wrong, final abrupt). Il est efficace et radiophonique. Le choix du premier single était évident. Ils l'ont bien fait. Le clip percutant et décalé est en phase avec les ambiances. En résumé, l'un des tous meilleurs titres de l'album. Le point faible de taille que j'y vois : sa durée. Le titre est beaucoup trop court (à peine plus de trois minutes). On peut le comprendre compte tenu de sa structure particulière et du débit de paroles (dans la perspective d'une interprétation live, le lead singer finirait par manquer de souffle si l'on ajoutait des lignes de lyrics). La solution, allonger le titre sur les parties plus (ou strictement) instrumentales (pont, intro, final ; introduire un break ou autre). Dommage que DM reste le plus souvent sur ce format 3-4 minutes par titre.

Fragile Tension

Le beat est bon. Certains ont pu faire allusion au timbre de Gahan, en ajoutant que la partie vocale ne serait pas adaptée à lui (en référence aux aigus du refrain je présume). De mon côté, je considère qu'à partir du moment où l'ambitus de Gahan lui permet de monter, il n'y a aucun soucis. Certes, ce n'est pas sa tessiture. Et alors ? Pourquoi faudrait-il que le chanteur soit parfaitement à l'aise de bout en bout ? Tout comme il existe des séquences instrumentales difficiles à jouer (car techniques, rapides,...), la partie chant peut également contenir certaines difficultés que le chanteur doit affronter (chanter hors tessiture mais en ambitus en fait partie à mon sens). J'aime beaucoup l'orchestration : ce mariage entre la guitare saturée (le riff), les sons analogiques et les harmonies Gahan-Gore me semble réussi. La prod est bien fichue (sur-utilisation intelligente de la reverb et du chorus sur les pistes instrumentales). En revanche, un bémol sur le final : le premier mouvement du final passe bien, mais le deuxième (les deux derniers fragments) me donnent l'impression d'une vaste improvisation motivée par une absence d'idée pour terminer intelligemment le morceau. Pourquoi ne pas avoir repris le style (ou carrément le thème) de l'intro en l'adaptant ? Ou pourquoi ne pas terminer en fade, au pire ? Une petite préférence pour la version single plus dynamique (ce mixage des percus - entre autres - est plus adapté), notamment sur le refrain.

Sounds of the Universe, en studio

Lee (Gore) Te Soul

Titre assurément collector. Vivement l'interview dans laquelle Mister DJ nous révèlera qu'en réalité, Little Soul c'était lui. Lui à la compo, lui à l'écriture, lui à la prod. Je ne vois pas d'autre explication. L'un des pires titres de la discographie pour moi. Je n'ai pas envie de faire de longs discours sur ce titre qui ne le mérite pas. Une prod d'un autre temps, des lyrics sans intérêt, une mélodie chiante au possible. Heureusement que le titre suivant fait vite oublier cette erreur de parcours.

In Sympathy

L'aspect innovant et expérimental n'est bien entendu pas la marque de fabrique de ce titre. Mais en terme de son, on est persuadé que l'on a affaire à du "pur DM" de la grande époque (à cet égard, je trouve que le riff a une parenté avec celui de Waling in my Shoes et on retrouve dès l'intro une sonorité assez proche de ce que l'on trouvait sur Just Can't Get Enough) : un son bien analogique, une mélodie omniprésente et efficace, un bon beat, une prise son (pour les voix) d'excellente facture, des harmonies vocales bien pensées sur les refrains, des lyrics intéressants. Dommage que le final ait été à mon sens un peu bâclé : à choisir, un fade aurait été plus judicieux. Mais ce n'est pas très grave, les uns chantent, les autres dansent, n'est-ce pas finalement le principal ?

Peace

Intro originale révélant déjà la particularisme du titre (beat peu évident à apprivoiser et orchestration/ambiance "rétro-futuriste" - puisque l'expression était à la mode), harmonies vocales superbes sur les refrains, hyper-précision de Gahan en voix de tête sur le pont, des lyrics sujets à interprétation(s), outro travaillée (même si elle est un peu courte : j'aurai bien vu un final extended en instrumental). Au final, le titre est - pour le DM des années post Wilder - plutôt expérimental, tout en étant tout à fait homogène de bout en bout (je ne vois aucune faiblesse dans la structure). La belle surprise de cet album. Si Wrong n'avait pas existé, Peace (qui surprend et ne laisse pas le public indifférent) aurait parfaitement rempli le rôle de premier single dans la grande tradition dépèdemochienne.

Come Back

L'intro est intéressante de par sa puissance et son beat marqué. Le titre est assez mélodique. On ne pourra pas reprocher à la prod d'avoir voulu prendre des risques sur ce titre. Au final, trop de risques tue le risque. L'ensemble est trop saturé (saturation volontairement excessive, sauf que du début à la fin du titre, c'est un peu too much). Le mixage est trop fort. Du coup, l'auditeur que je suis a irrémédiablement besoin d'un moment de calme après avoir écouté ce titre. Curieusement, "l'interlude" a d'ailleurs été placé juste après... L'idée de ce volume élevé dans l'instru (au détriment notamment des voix - lead et chœur) et de la saturation est bonne. Il aurait fallu ne l'utiliser que sur une partie du titre et alterner avec une ou plusieurs ambiances plus apaisées, plus atmosphériques (même s'il y a un petit peu de ça sur les couplets, mais pas suffisamment). Le titre est un peu trop répétitif, un peu trop linéaire dans sa structure (je finis par m'ennuyer au bout de 2 minutes et quelques). Mais la prestation vocale de Gahan est une nouvelle fois très bonne. J'aime beaucoup ce final explosif brutal en guise d'épilogue. La pauvreté des lyrics tirent toutefois le titre vers le bas. Dommage car la compo a un réel potentiel musical. On le voit sur le DVD avec une reprise superbe. Cette version Studio Session m'a ému aux larmes à la première écoute. Elle révèle que l'orchestration peut être relativement dépouillée sans pour autant porter préjudice aux ambiances ("spatialo-nostalgiques"). La prestation de Gahan est tout simplement superbe : voix claire, interprétation sobre/spontanée, chant juste (y compris dans les aigus) et une utilisation judicieuse des nuances (c'est sans doute le point sur lequel il a le plus progressé depuis la dernière décennie). Les harmonies Gore-Gahan sont pour moi l'un des points forts du titre. On le perçoit dans la version album, mais cela saute aux oreilles sur le DVD. Au final, les voix sont d'une finesse et d'une précision hors pair. La présence du piano et l'absence de guitares - qui sont pourtant l'élément central de la version album - renforcent le potentiel du titre en terme d'ambiance et d'émotion. Assurément mon coup de cœur de l'année 2009.

Space Walker

Depuis combien de temps n'avons-nous pas eu d'instru de qualité ? Easy Tiger (version extended) était intéressante en terme d'ambiance. La prod (et la compo) de Headstar a été travaillée aussi sérieusement qu'un titre classique (d'un autre côté, ils n'avaient pas grand chose d'autre à faire à ce moment-là...). C'est un peu maigre en dix ans et 3,5 albums (plus les inédits). Le dernier instru de belle qualité reste à mon sens Painkiller (pas l'infâme Junior, la face B figurant sur le single). Tout y est : la compo (structure cohérente avec des variations), la prod (orchestration complexe, utilisation d'effets à bon escient), le mixage (un beau rendu en terme de dynamisme), la durée (ça fait du bien d'écouter une instru plus longue qu'une minute 15), les ambiances, le final épique. Dommage que le groupe n'accorde pas (plus) de réel intérêt aux instrumentales.

L'ambiance de Introspectre avait un potentiel. Ici l'ambiance n'est pas aussi claire et limpide mais il y a tout de même de la mélodie. Alors certains diront que ce n'est qu'un interlude et qu'à ce titre, il ne peut être jugé sur les mêmes critères qu'un titre lambda. Sauf que faire d'un interlude une piste indépendante a quelque chose de dérangeant (est-ce que Crucified ou l'Interlude n°3 sur Violator étaient des pistes indépendantes ?). De plus, pourquoi un interlude ne pourrait pas être (un peu plus) chiadé, un peu plus intéressant musicalement (que ce le groupe nous sort depuis plus de dix ans) ? Et au fait, pourquoi ne pourrait-on pas considérer un titre instru (travaillé) comme un interlude au sein d'un ensemble de titres non instru figurant sur un album ? En clair, pourquoi est-il si évident de se taper une piste indépendante sans intérêt au milieu d'un album ?

Perfect

Superbe intro en terme de spatialisation, de choix dans les sonorités (tout l'intérêt de l'analogique apparait dans cette intro : un son à la fois chaud et imprévisible), de réverbération (les échos successifs n'ont pas le même retard), de progression (superposition progressive et logique de l'orchestration : du synthé seul à l'arrivée de la boite à rythmes avant que la voix ne s'en mêle, le tout agrémenté par de beaux arrangements - sonorités sui generis, synthés, guitares). Le refrain est magnifique : la mélodie, les harmonies-voix, l'orchestration (notamment la guitare), le mixage. Rien à redire. Le pont est aussi très bon : le changement d'ambiance est limpide et bien pensé sans dénaturer le titre dans son ensemble (qui reste tout à fait homogène en terme de mélodie et de sonorités). Le final est également superbe, sur tous les plans. Assurément l'un des meilleurs titres de l'album. Un regret peut être : le titre est un peu court (il parait que c'est ce qu'on ressent quand on adore un titre qui se termine).

Miles Away / The Truth is

Et là, c'est le drame. Ou presque. Car après avoir subi Little Soul, l'auditeur est psychologiquement préparé : il a déjà eu l'occasion de se dire qu'une catastrophe était possible. Venons-en donc au fâde Miles Away que tout le monde semble porter aux nues. Je n'en comprends toujours pas bien la raison. Miles Away, titre certes assez mélodique (donc efficace) et adapté au timbre de Gahan, mais trop minimaliste (manque de ruptures dans la structure de la compo notamment) et simpliste (lyrics) pour emporter mon adhésion. Le titre est d'ailleurs assez répétitif (arrangements et lyrics) et me lasse donc très vite lorsque je l'écoute. Et - c'est un détail mais tout de même - le chant en lead sur le refrain est d'une mollesse incroyable (en partie car la mélodie part trop dans les graves). C'est finalement le backing vocal qui donne un semblant de puissance à ce refrain. Le monde à l'envers. Certes, le beat est là et les vrais fans se trémousseront sur la piste de danse. Mais pour moi, la musique ne se résume à ces considérations basiques. Des ambiances directement issues de Paper Monsters (Bottle Living)... Pas si étonnant puisqu'il s'agit du même co-auteur. Mais ce qui gênant c'est que ces ambiances insuffisamment (re)travaillées à mon goût sortent sur un album de Depeche Mode et que jusqu'à preuve du contraire, Gahan n'est heureusement pas en charge de la production. Au final, on obtient un titre quasiment calibré FM, à la Lilian (point faible du précédent album à mon avis), qui laisse une impression d'inachevé du point de vue de la créativité, clairement sacrifiée au profit de la simplicité. Bref. Pour moi un des titres les plus faibles de Sounds of the Universe.

Jezebel

L'intro est réussie (beat et ligne de basse : efficaces d'entrée). Même si le mixage de la basse est inégal (volume trop peu élevé par la suite à mon goût). La structure mélodique est bien là. Les arrangements l'agrémentent assez judicieusement : car même si l'orchestration n'est pas bandante en soi (assez minimaliste, vu le peu de pistes superposées), les ambiances sont là et bien là. L'écho sur la voix de Gore se fond d'ailleurs parfaitement dans les ambiances. La spatialisation est réussie. La prod est donc léchée. Puisqu'on parle de voix, La prise voix est encore une fois de belle qualité, de bout en bout. La mélodie-voix existe (il faut le signaler) et est accessoirement superbe. El Gore n'abuse pas de l'effet trémolos (correctement modulé sur ce titre). Je ne suis donc pas spécialement d'accord avec ce que dit tibo plus haut. L'absence de chœurs ne me pose pas de problème, au contraire. Cela met ainsi bien en valeur le chant en lead de Gore. On admire ainsi tout son ambitus, toute sa justesse et les nuances qu'il emploie pour se situer en symbiose avec les lyrics. Je me souviens que c'était, lors de la première écoute de l'album, le titre qui m'a fait le plus bel effet (même si après plusieurs écoutes, je l'ai trouvé un peu lisse, un peu trop linaire). Mais la dernière partie constitue pour moi sa plus grande faiblesse. La prod est sur ce coup plutôt décevante. Le squelette de la compo est bien habillé jusqu'à cette dernière partie où il aurait fallu insérer une rupture, un élément original et créatif par rapport au reste (Ex : break, ralentissement progressif du tempo pour un final en fade, final instru avec - ou sans - nouvelle instrumentation, final Gore a capella,... Bref n'importe quoi mais quelque chose d'inventif). Car l'utilisation du vocoder (de bonne qualité : toutes les consonnes sont audibles et le rendu est agréable), même si elle est originale (usage peu courant dans la prod DM récente ; rendu fort sympa avec le dernier effet en fade out, et originalité dans son placement - en toute fin de titre) ne suffit pas à relever le niveau de la dernière minute trente (reprise du thème du pont et le coup du gimmick Abx7-Bb-Bx7-Bb-Abx7 ad lib témoignent d'un certain manque d'imagination). Dommage. C'est en tout cas ce genre de ballades qui - tout comme un instru de bonne qualité tel que je le disais plus haut - pourraient faire office de pause et de transition sur un LP tout en apportant une valeur ajoutée au disque.

Corrupt

L'intro en deux temps (calme puis lourde et puissante) tient l'auditeur en haleine. Il le sera d'ailleurs jusqu'à la dernière note, agressé (dans le bon sens du terme) par la musique et percuté par les lyrics. La compo et la prod ont façonné une véritable empreinte à Corrupt (qui en avait déja une avec les paroles). Il est en cela comparable à Wrong. Le beat est bien marqué. Je ne suis en revanche pas convaincu par certains pans de la mélodie sur les couplets que je trouve trop peu évidents (et de fait pas assez harmonieux pour mon goût). La ligne de guitare sur le refrain et l'utilisation du slide sont bien pensées. Tout comme les harmonies vocales. Le final est superbe (dans l'idée et dans sa réalisation : le fragment gimmick Ré/Fa/Bb/La/Sol/Fa/ré au premier plan, emploi d'une Distortion Gtr, l'effet sur une dernière note maintenue en point d'orgue, un symétrique logique des premières secondes de l'intro). Peut être la meilleure partie du titre pour moi. Très bon choix pour terminer l'album. Quant à l'interlude caché. Quelle est l'utilité artistique de cette séquence ? Et pourquoi placer cette partie aussi éloignée de la fin de Corrupt ? Ah mais oui j'oubliais, c'est pour faire Pi. Ce clin d'œil mathématique est d'un intérêt et d'une pertinence musicale rare. Ainsi Depeche Mode joue la carte de la cohérence : je n'avais déjà pas compris l'intro. Je ne comprendrai donc pas non plus l'outro.

Enregistrement de Sounds of the Universe


En quelques mots...


Il faut relever le gros travail de production sur cet album dont le son est d'une manière générale chaud, net et clair. En cela, il s'oppose radicalement aux sonorités agressives et rugueuses de Playing the Angel dont la production avait également été chiadée. Hillier a donc su évoluer tout en faisant (encore une fois) du bon boulot. Ses compétences musicales (formation classique, pianiste, batteur, guitariste, experts en MAO et bien plus encore) ont apporté une réelle plus-value en studio. Les différents reportages ou interviews nous en ont appris un peu plus sur sa façon de bosser. Travailleur acharné, il regorge d'idées et multiplie les expérimentations, sans pour autant les imposer au groupe. Il sollicite d'ailleurs régulièrement la critique. Perfectionniste, il aime travailler un élément précis jusque dans ses plus infimes détails. Quoi demander de plus à un producteur ?

--> les orchestrations : bon travail dans l'ensemble, sauf sur Little Soul où Hillier s'est trompé de siècle et de genre musical. Orchestration riche en terme de diversité de sons/instruments et dans le travail de superposition. Joli boulot global réalisé sur les harmonies. Un bémol toutefois sur l'emploi parfois regrettable de la boite à rythmes en terme de dynamisme. Le recours à la batterie aurait tiré certains titres encore plus haut (In Chains, Hole to Feed ou Fragile Tension, par exemple). En revanche, utilisation judicieuse de la boite à rythmes sur Jezebel, In Sympathy, Corrupt ou encore Peace. Un son brut et clair de batterie aurait pu dénaturer les ambiances.

--> les arrangements/ambiances, justement : je suis mitigé. Il y avait un potentiel indéniable (vu le matos studio). Il y avait (apparemment) une réelle volonté d'Hillier et du reste de la troupe de bosser sur le son. Le travail d'habillage de Wrong est par exemple assez bien réussi. Ce titre révèle d'ailleurs les efforts de recherches du groupe qui n'a pas hésité à explorer plusieurs directions et à entrer vraiment dans les détails. Les ambiances ont, d'une manière générale, fait l'objet d'une attention sérieuse (Ex : ambiance pesante, inquiétante et essouflante entretenue de bout en bout avec Wrong ; voyage intersidéral sur Fragile Tension, Come Back ou Peace, etc). Mais avec ce matos et cette ambition affichée de travailler le son, je m'attendais naïvement à une musique plus complexe. Malheureusement, on reste le plus souvent sur un schéma assez minimaliste avec assez peu d'effets, assez peu de superpositions, assez peu de réelles expérimentations. Depeche Mode (en partie influencé par Miller, Cf. DVD) n'a pas voulu s'engoufrer dans des essais Progressif. La vague punk commence pourtant à dater. Pourquoi vouloir à tout prix (et par principe ?) créer une musique simpl(iste) ? Une musique plus complexe ne serait-elle plus de la musique ? L'auditeur lambda ne pourrait-il pas apprécier une musique plus élaborée ? Gahan et Gore sont de bien meilleurs musiciens. Ils ont maintenant un matériel de premier choix et sont de surcroit entourés de professionnels de la musique et de la technique. Le contexte du "tout le monde peut faire de la musique à partir de rien ou presque" n'est plus franchement applicable à Depeche Mode. La seule explication est donc un choix délibéré. Mais ce choix est regrettable dans la mesure où il ferme justement de nouvelles perspectives en terme de création à une époque où certaines voix commencent à s'élever (à juste titre) pour dénoncer le manque d'innovation et de prise de risque d'un groupe qui a pourtant en partie construit son ascension en adoptant cette posture.

--> les voix : un magnifique travail d'ensemble (prise voix, performance technique, harmonies, effets, mixage). Tout a déja été dit.

--> les mélodies : album inégal sur ce point. Du bon (In Sympathy, Perfect ou Jezebel) et du moins bon. Mais je n'appartiens pas au courant de pensée qui considère que l'absence de mélodie dénature la musique, constitue un sacrilège ou pose un véritable problème. La musique peut captiver ou littéralement transporter l'auditeur sans que ce dernier doive forcément ressentir le besoin de pouvoir siffler un air précis. En clair, ce critère m'indiffère un peu, ce qui j'en conviens, est on ne peut plus subjectif.

--> le mixage : pour ce qui me concerne, tout n'a pas été parfait (Cf. gimmick sur Hole to Feed, guitares sur Come Back, BAR, etc). Mais en la matière, il n'y a pas vraiment d'erreur ou de vérité absolues. Des choix (tel son en arrière plan, un volume de X sur la b-vox, le paquet mis sur la saturation ou l'effet distortion de la guitare, etc) ont été faits. Des choix qui plairont ou déplairont selon les cas et selon les sensibilités.

--> l'homogénéité d'ensemble : le vrai point faible à mon avis de Sounds of the Universe. Cet aspect mérite alors un développement spécifique qui fera office de conclusion.


Conclusion : les sons de l'univers, un concept en trompe l'œil


Une partie de la presse et des fans ont mis en exergue le concept, l'homogénéité, la logique implacable de Sounds of the Universe. D'autres, dont je fais partie, considèrent en revanche que le défaut de cohérence est patent, et ce sur toute la ligne. Quelques éléments présentés en vrac permettront de s'en convaincre.

Pendant la promo de l'album, Gore tentera de justifier le titre "Sounds of the Universe". Un thème spirituel récurrent sur plusieurs titres de l'album correspondrait bien (dixit Gore) au titre Sounds of the Universe : il y aurait d'une part la dimension spirituelle des textes (ndlr : quel rapport entre les "sons de l'univers" et la spiritualité ?) et d'autre part l'utilisation des machines analogiques "avec des sons franchement extraterrestres" qui conjureraient des images de l'univers et de voyage intersidéral. Cette explication vague, générale et assez peu circonstanciée n'est pas vraiment convaincante. Elle n'est en tout cas, à mon sens pas suffisante pour justifier d'une approche conceptuelle globale, d'une oeuvre cohérente et indivisible. J'ai tendance à penser que Gore considère tout simplement que l'analogique en général (conjugué avec les effets divers et variés permettant d'habiller la sonorité) peut potentiellement créer des ambiances spatiales, aériennes ou atmosphériques. Selon cette approche, n'importe quel album où l'analogique prédomine et dont la prod est un minimum chiadée pourrait s'intituler "Sounds of the Universe". En réalité, tout le monde sait bien que c'est encore et toujours une histoire de second degré qui sera poussé à son paroxysme avec le fameux Touring the Universe. Comme quoi le groupe connait le sens du mot cohérence. Même si l'auditeur aurait préféré la déceler au plan artistique et pas seulement en matière d'ironie. Mais dépassons ces considérations liées au titre.



Sur la forme, il est regrettable que les transitions n'aient pas été soignées. Ces blancs entre chaque pistes sont insupportables. Il n'y a rien de tel pour briser le dynamisme et renforcer l'impression d'hétérogénéité ! Et au-delà de ces blancs, améliorer le liant entre les pistes n'aurait pas été déplaisant. La transition de Wrong à Fragile Tension, de Peace à Come Back ou de Perfect à Miles Away sont trop brutales. On est aux antipodes du liant. Construire ce liant passe par l'adjonction d'interludes et/ou par une adaptation des intros et des final (tonalités, beat, tempo, ambiances,...) en fonction d'un ordre des titres qu'il vaut donc mieux ne pas établir trop tard afin de pouvoir le cas échéant les retoucher (les titres).

La longueur de l'album n'améliore pas les choses. Car n'est-il pas difficile de capter l'attention de quelqu'un pendant une heure ? L'auditeur, le plus souvent, n'écoutera pas l'album dans son entier (par manque de temps ou par envie d'aller faire autre chose). Gore a d'ailleurs conscience de la longueur de l'album et admet que les 44 minutes de musique du format vinyle sont amplement suffisants et constituent un maximum pour que l'auditeur reste concentré de bout en bout (D-Side 2009).

Comment ne pas en venir aux critères (mystérieux) sur lesquels les titres composant l'album sont retenus (et à quelle place ils sont disposés les uns par rapport aux autres). Je ne reviendrai pas sur la faible ouverture de l'album. Depeche Mode nous avait habitué à des choses plus percutantes (A Pain That I'm Used To), plus surprenantes (I Feel You, Barrel of a Gun). Wrong (ou des titres comme Fragile Tension ou Perfect) présentait toutes les qualités pour ouvrir l'album. De la même façon, j'avoue ne pas comprendre sur quelle base Little Soul a été retenu et de surcroit placé à cet endroit, dans la première partie du LP entre deux titres mid tempo au beat marqué et efficace. Little Soul (de par son orchestration surannée, ses lyrics simplistes et son tempo lent) constitue une rupture rédhibitoire dans la trame musicale de l'album. Aussi, pourquoi reléguer Esque - dont l'ambiance aérienne et la spatialisation sont très réussies - sur le banc de touche et favoriser Space Walker ? Sans faire de populisme exacerbé tant la question est devenue un lieu commun sur les forums de discussion, pourquoi Ghost et/ou Light ne figurent-ils pas sur l'album ? Réponse du trio qui a depuis longtemps trouvé un échappatoire qui cependant ne convaincra personne : les chansons non retenues sur l'album ne collaient pas avec le reste. J'aurai préféré l'argument d'autorité infaillible du choix discrétionnaire de l'artiste (même si au fond, cela revient un peu à ça). Plutôt que de faire croire au commun des mortels que Little Soul, Come Back, Space Walker ou Miles Away étaient plus cohérentes que Light, Ghost ou Esque. Au final, j'ai beau chercher, je n'arrive pas à me convaincre que ce n'est pas la loterie (ou Fletch, si vous préférez) qui a décidé du choix des titres et de leur emplacement. A l'exception notable de l'outro, Corrupt constituant probablement le choix le plus judicieux pour terminer l'album.

Il existe pas mal de disparités dans les ambiances, arrangements et orchestrations. Ce qui porte évidemment préjudice à l'unité du son de l'album. Playing the Angel est à cet égard (légèrement) plus homogène, plus cohérent. Pour s'en apercevoir, il suffit de prendre un petit exemple (parmi plusieurs autres possibilités) : j'éprouve une réelle difficulté à entrevoir un lien en terme d'ambiances ou d'arrangements entre Wrong, Miles Away, Little Soul ou Peace. Gore avoue d'ailleurs lui-même que les morceaux sont assez éclectiques et divers (D-Side bis). L'équilibre, il est vrai, n'est pas évident à trouver entre homogénéité d'une part et diversité (qui peut contribuer à la richesse d'une oeuvre).

Dans un autre ordre d'idée, il aurait peut être été judicieux (si le groupe avait véritablement cherché à faire de Sounds of the Universe une oeuvre homogène) de tenter d'entamer le processus de création par la définition d'un concept sur lequel travailler au moment de l'écriture afin de faire coïncider les paroles avec le concept ou l'idée centrale. Et non pas, à mon avis, écrire sur plusieurs thématiques différentes (ce qui est le cas sur Sounds of the Universe - à cet égard n'hésitez pas à vous reporter à la rubrique Paroles du blog - et ce qui a d'ailleurs plus ou moins toujours été le cas avec Depeche Mode) sans fil conducteur évident à la base et trouver quelques pretextes (tirés d'un ou deux extraits de lyrics ou d'un artifice de prod - l'histoire des synthés à l'unisson sur le LA ou du Pi - inséré spécialement pour cela) qu'on sert opportunément à la presse et au public pour leur donner l'illusion que l'album a été conceptualisé et pensé dans son ensemble.

Le méthode de travail employée par Gore met d'ailleurs en lumière le fait que Sounds of the Universe n'a pas été pensé d'une manière globale, dès le début. En effet, les démos ont été faites sur laptop avec synthés virtuels. La grande majorité des compos ont été créées sur ordi. L'achat des synthés analogiques n'est venu qu'après. L'empreinte sonore de l'album n'était donc pas spécialement recherchée ab initio.

Ainsi, il n'y a pas de concept qui a précédé et orienté le processus d'écriture. Les thématiques des différents lyrics ne sont pas identiques. Le son façonné sur Sounds of the Universe a été décidé après avoir composé. Le son n'a donc influencé ni les compos, ni les les thématiques abordées dans les lyrics.

Bien entendu, certains diront (avec raison) que la qualité d'un album ne se mesure pas (uniquement) à son homogénéité et à sa "capacité" d'être écouté de bout en bout. Que tel ou tel titre est superbe en lui-même. Toutefois, dans la mesure où l'album constitue une oeuvre de l'esprit façonnée telle quelle par l'artiste qui choisit de la présenter sous cette forme (plutôt que, par exemple, de manière fractionnée sur le modèle "un morceaux, un support"), elle doit être comme toute oeuvre d'art, appréhendée dans son ensemble. Il serait assez incongru ou à tout le moins réducteur de prétendre émettre une opinion réfléchie et éclairée en ayant observé que le coin supérieur droit d'un tableau ou en n'ayant lu qu'une partie d'un livre, quelle que soit par ailleurs la qualité de cette partie en terme de couleurs ou de style d'écriture. En clair, si l'impression d'ensemble ne fait pas tout, elle ne peut pour autant, à mon sens, être occultée dans la perspective d'une analyse poussée.

En résumé pour moi, l'album donne à l'auditeur (que je suis) un sentiment de franche hétérogénéité. L'écoute de l'album de bout en bout n'est ni évidente ni absolument nécessaire comme ont pu l'être un Violator, un Songs of Faith & Devotion ou un Dark Side of the Moon pour rester dans les références connues par tout un chacun. Ce n'est pas une oeuvre indissociable comme peut l'être un véritable concept album. Rien de très étonnant, compte tenu de la méthode de travail choisie pour cet album. Mais je trouve cela dommage car il y avait un potentiel (creuser ce concept d'univers) et des ingrédients (un excellent songwritter et un panel impressionnant de matériel).



Sans tomber dans la subjectivité patente des classements ou des notations, Sounds of the Universe fait probablement partie des bons crus de Depeche Mode, comme (quasiment) tous les albums parus depuis le milieu des années 80. Il y a quelques mélodies, des lyrics de qualité, des compos assez bien structurées, d'excellentes performances vocales et une production sérieuse même si elle manque d'unité. Recette globalement gagnante pour cette compilation de titres (provocation délibérée) dont la caractéristique principale restera sans doute le travail des sons qui, même s'il aurait pu être poussé encore plus loin, ravira l'amateur de productions léchées.