Vince Clarke très attaché au son analogiqueVincent John Martin et Martin Lee Gore, les retrouvailles de deux amis de 30 ans ? Pas sûr qu'on puisse vraiment parler de réunion car les protagonistes de Ssss ont passé l'essentiel de leur carrière éloignés loin de l'autre. Leur collaboration au début des années 80, sans être anecdotique, fut très brève. Union éphémère qui ne s'est matérialisée que par quelques enregistrements studios. Les deux compères, bardés de l'inoffensif Andrew Fletcher, sont membres de Composition of sound au début de leur carrière (1978). Le groupe de copains ne fera pas de disque sous ce nom, il faudra attendre la naissance de Depeche Mode avec l'arrivée de David Gahan pour entrer dans le vif du sujet. En fait, ce n'est qu'en 1980 que le groupe enregistrera ses premiers titres en studio. Un album (Speak & Spell) plus tard, Vince Clarke quitte le groupe en silence et à la stupeur générale, ce qui permettra à Martin Gore de gagner ses galons de parolier en chef - compositeur - mélodiste talentueux. Au tout début des années 80, les deux gaillards étaient finalement deux débutants peu familiarisés avec leur matériel et l'ampleur de la tâche en studio. Les sous-estimés Ice Machine, Shout, Photographic ou Dreaming of Me doivent sans doute autant - et peut-être plus - au savoir-faire des Daniel Miller, Eric Radcliffe et John Fryer (qui avaient déjà quelques années de studio derrière eux) qu'aux capacités encore embryonnaires de Gore et Clarke. Leur talent respectif n'éclatera finalement qu'après que Vince se soit éclipsé pour fonder Yazoo puis Erasure.

Réunion virtuelle et pièces-jointes

Ssss = Vince + MartinEn 2011, la dite réunion fut principalement virtuelle, Gore et Clarke ayant à peine parlé de visu de ce projet au Roundhouse de Londres lors des deux soirs dédiés à Mute Rercords. C'est Vince qui proposera à Martin par courrier électronique ce projet de disque techno. Gore acceptera, la faute à la fatalité (« c'était le bon moment, s'il m'avait proposé en 2012 ça ne l'aurait pas fait »)  et par goût pour la musique techno dont il apprécie le côté « Néandertal ». Le projet avancera essentiellement à distance, par échange d'e-mails et de fichiers. Il faut dire que les deux gars ne sont pas restés spécialement proches depuis le départ de Vince de Depeche Mode. Si les deux anglais vivent aux Etats-Unis, ils ont suivi des trajectoires différentes pour ne pas dire diamétralement opposées. L'effacé Gore a petit à petit goûté aux feux de la rampe, aux DJ sets, au strass, aux paillettes et aux fanfreluches à tel point qu'il habite depuis de longues années dans la très hype Californie. Au fil de sa carrière, il s'est mis à apprécié petit à petit les devants de la scène jusqu'à s'y risquer tout seul pour défendre son album de reprises Counterfeit² en 2003. Clarke s'est retranché loin des foules, dans les forêts du Maine où il s'est construit un home studio bourré de claviers analogiques. Quand il est sur scène avec Erasure, il semble enfermé dans sa bulle et totalement imperméable à tout ce qui l'entoure.

Les VC étaient MG de l'intérieur

VCMGAlbum assez linéaire, Ssss témoigne de l'amour commun de VCMG pour la musique électronique. Le disque fut réalisé à distance de manière empirique à grands coups d'analogique : pas de partage exact des tâches, pas de division du travail, quelques allers – retours au feeling (« chacun de nous faisait ce qui lui semblait nécessaire sur chaque morceau » précise El Martin de Santa Barbara) qui aboutissent à quatre ou cinq versions de chaque morceau et l'affaire est dans le sac. Il faut dire que Vince et Clarke amassent des synthés chacun de leur côté, Gore avoue être devenu accro aux synthés modulaires (modules Eurorack) et les avoir largement utilisés sur Ssss. L'utilisation de ce matos explique sans doute la richesse du sssson, la combinaison des signaux générés par plusieurs modules en une sortie audio unique permettant un nombre considérable voire virtuellement infini de configurations, et donc de sons.

Spock ou robot, zaat is the question (of time)

Si Lowly, qui ouvre Ssss, est intriguant avec ces accents early modiens prononcés, le voyage mélancolique en direction de Basildon tourne court. Clarke et Gore ne veulent surtout pas se retrouver catalogués comme vieux nostalgiques qui redécoreraient Just Can't Get Enough 30 ans après. Les deux pionniers de la musique électronique anglaise montrent qu'ils sont toujours à la page avec des morceaux comme Zaat et son côté electronica simple et efficace à la Chemical Brothers, le volontairement répétitif Spock et des titres comme Windup Robot ou Bendy Bass. Mais c'est peut-être le froid, métallique et dansant Aftermaths qui détonne le plus sur ce ce disque instrumental et résolument orienté dancefloor. Nummer eins in Deutschland ?

Tracklisting de Ssss (Stumm441)  :

Lowly
Zaat
Spock
Windup Robot
Bendy Bass
Single Blip
Skip This Track
Aftermaths
Recycle
Flux

Ssss écrit et produit par Vince Clarke et Martin L. Gore
Mixé par Timothy “Q” Wiles
Enregistré par Sie Medway Smith et Vince Clarke
Mastering Stefan Betke (de Pole).