La pochette ressemble à celle d’un mauvais pirate. Mais pour quelques euros de plus une version limitée du disque propose un packaging exclusif. Cédant au chant de sirènes des PLV’s, me voila repartant chez moi avec le fameux objet sous le bras. Aujourd’hui 22 novembre 2004, U2 sort son nouvel album et personne ne doit l’ignorer. La machine parfaitement huilée des auteurs de la plus grosse tournée du monde - Elevation tour en 2001- s’est mise en marche. Une fois de trop ?

I-Thunes
U2Un point sur lequel les détracteurs du groupe n’ont de toute façon rien à dire, c’est que si le talent des musiciens U2 est par définition discutable, leur sens du business lui est tout à fait incroyable. Sentant le vent tourner, les quatre Irlandais ont été les premiers à signer avec Apple un partenariat visant à distribuer leur musique sur Internet via la plateforme Itunes. Aujourd’hui, pionniers dans le domaine, U2 n’hésite pas à vendre une intégrale « The complete U2 » au format numérique, soit 446 morceaux dont plus de 100 titres en live et 40 inédits, le tout pour 149$. Autant dire que le contrat signé avec Apple est des plus juteux. Le 26 octobre 2004, Steve Jobs, décontracté, pose entre The Edge et Bono. Le big boss peut avoir le sourire, ce jour-là, lui et ses partenaires économiques sont venus lancer le nouveau « U2 Ipod special edition», un lecteur de mp3’s aux couleurs du groupe de légende avec leurs signatures gravées sur l’arrière. Avec un prix fixé à 399 euros (soit 50 euros de plus que la version standard de l’engin), et livré avec un poster exclusif du groupe (!!!), l’Ipod U2 devrait faire un carton chez les fans. Et grâce à une offre croisée, les heureux possesseurs de l’Ipod U2 se verront remettre un coupon « Itunes music store » qui leur offrira, privilège suprême, d’économiser 50 euros sur l’achat de « the complete U2 » dont ils devraient, puisqu’ils sont des fans, posséder déjà 80% du contenu sur support classique.

Communication
Anton Corbijn, récemment interrogé à propos de sa façon de travailler avec U2, confiait, ce qui ne devrait pas surprendre ceux qui s’intéressent quelque peu aux 4 paddies, que ces derniers tenaient à contrôler tout ce qui relève de leur image. Ils se retrouvaient de ce fait très impliqués dans la communication du groupe, qu’il s’agisse du choix d’une photo de promo ou de celui d’une tenue vestimentaire. Et il terminait en opposant U2 à Depeche Mode qui, de ce point de vue, s’intéresse d’après lui bien moins à cet aspect des choses. Voilà une différence capitale entre ces deux groupes majeurs ayant survécu tous deux aux 80’s et 90’s. U2 calcule tout, U2 ne laisse rien passer. Ayant particulièrement bien saisi les avantages qu’ils pouvaient tirer du web, le groupe bénéficie via U2.com d’une vitrine sur le monde de premier choix. Esthétique soignée, et présentation intelligente, le site, souvent relooké et mis à jour, inclus, hormis bien sûr des liens vers itunes.com, une nouvelle boutique virtuelle U2.com/shop. Trente modèles de T-shirts disponibles pour célébrer la carrière de U2, des lithographies à 100 euros/pièce reprenant les visuels des albums et singles : chez U2 le merchandising se décline à l’infini, avant même le début de la tournée. D’ailleurs, un détail attire l’attention : la lithographie du dernier single, Vertigo, se trouve tout à côté de celle du premier, U2:3 sorti en 1979. Outre l’aspect symbolique de la chose, n’y aurait-il pas là une volonté de chercher une légitimité dans le passé du groupe, comme pour dire « rien n’a changé », nous sommes les mêmes, jeunes et insouciants etc. ? C’est une hypothèse tout à fait probable, qui expliquerait aussi qu’ils agrémentent leurs shows de titres comme « I will follow » qui datent d’une autre époque non pas seulement car ils s’accordent avec une setlist mais aussi pour faire oublier la machine qu’ils sont devenus.

Bombe atomique ou grenade à plâtre ?
Le plus embêtant lorsque l’on veut parler de « How To Dismantle An Atomic Bomb », c’est de se dire finalement qu’il est « neutre ». Chaque album du groupe porte sa griffe, un son propre hormis le dernier venu qui est tout ce qu’il y a de plus impropre. C’est du U2, un point c’est tout, et c’est fait pour plaire, passer en radio et faire chanter la foule en concert. Cet album n’apporte rien de neuf, ce qui ne veut pas dire qu’il soit nul pour autant, non, mais trop souvent il manque de relief et frôle parfois la platitude.

Annoncé comme l’album rock de U2, il ne tient cette promesse que le temps d’un titre, Vertigo. Avec lui s’ouvre le disque. C’est un tube accrocheur et énergique à défaut d’être très inspiré ; il fait la part belle comme le reste de l’album à la Fender de The Edge. Si l’ensemble des titres du disque est assez homogène du point de vue du son, on trouve dans « How To Dismantle An Atomic Bomb » de tout, du bon et du moins bon mais jamais rien de très emballant. Ce qui donne encore plus de regrets pour peu qu’on vienne d’écouter The Joshua Tree, Achtung Baby, Zooropa ou encore Pop. « Miracle Drug » et « City of Blinding lights » bénéficient de très beaux couplets durant lesquels la voix de Bono s’accorde parfaitement à la basse d’Adam Clayton, mais leurs refrains sont faibles ; la guitare de the Edge est très belle aussi sur « Sometimes you can’t make it on your own » où elle sonne à l’identique d’il y a 20 ans mais la chanson n’est pas convaincante. « All because of you » qui sera le second single de l’album est un titre sympathique mais il n’égale pas sur le plan mélodique même les singles d’ « All that you can’t leave behind ». Pour le reste, parfois il semble que l’on écoute des chutes de bandes de studio des 80’s. Une chanson cependant sort du lot, « Original of the species » qui prendra sûrement une dimension nouvelle sur scène. La production, quant à elle, est assez moyenne ; une écoute au casque relèvera que la dream team Steve Lillywhite, Brian Eno, Flood & co n’a pas fait d’étincelles.

Où sont-ils ?
Stratégie commerciale agressive, album aseptisé… Où est passé U2 ? La diversité des styles musicaux explorés par U2 tout au long de leur carrière renvoie chaque fois à une image différente du groupe. Tantôt post-punks mystiques (« Gloria »), rockers épiques, ouverts à l’expérimentation avec Brian Eno, fans de country et de Blues à la conquête de l’Amérique, puis n’hésitant pas à incorporer des sonorités électros et même Techno à leur rock aérien. Il faut admettre que U2 a un visage différent à chaque album. Seulement ce qui cloche, c’est que depuis 2000 et « All that you can’t leave behind », U2 stagne, n’explore plus rien, ne prend plus aucun risque. Et chose pire encore peut être, U2 a perdu le sens de l’humour.

Soucieux de casser leur image trop bon enfant, le groupe s’était mis en tête au début des 90’s de créer une tournée gigantesque parodiant et dénonçant les médias de masse, en particulier la Télévision. Ce sera le ZOO tv tour en 92-93 auquel succèdera le POP Mart tour en 97. Sur scène Bono force le trait, ses pauses et ses attitudes afin de stigmatiser la rock star qu’il est. Tous les soirs il se moquait des puissants via des canulars téléphoniques en direct à des hommes politiques. Se doutait-il alors que quelques années après il se ferait photographier avec les plus grands décideurs de la planète ? Bono imaginait-il lors des NRJ Music Awards 1995 où il prit à parti Jacques Chirac en raison des essais nucléaires français qu’il recevrait 8 ans après la Légion d’Honneur - pour des raisons toujours inexpliquées- de ses mains ? U2 est devenu un groupe sérieux qui parle de sujets sérieux et rencontre des gens sérieux devant les caméras. L’antithèse de ce qu’on attend d’un groupe de rock. Bono a montré qu’on ne pouvait pas faire deux choses bien en même temps, de l’agitation politico-humanitaire et un bon album. Mais son ego lui interdira sans doute de s’en rendre compte…

Dès lors on a du mal à imaginer à quoi pourrait bien ressembler un autre album de U2. A moins d’un changement radical, il devrait sonner comme « How To Dismantle An Atomic Bomb ». Ce jour-là, gardez votre argent. Si U2 ne sauvera pas le rock’n’roll, il a déjà contribué à écrire en 25 ans de carrière certaines de ses plus belles pages, qui méritent d’être redécouvertes.