Les racines du mal
Peu de groupes connaissent le succès dès leur premier album. Peu de gamins de 22 ans remplissent des Bercy avec quatre albums à leur compteur. Victime de son génie, Depeche Mode franchit en 9 ans, de 1981 à 1990, tous les échelons de la gloire en mode accéléré. D’ou le sentiment certain de lassitude, tel qu’il est exprimé back stage par Dave sur « 101 ». A 26 ans, l’ex-zonard joue devant 80 000 fans outre-Atlantique. Pouvait il alors s’imaginer que le meilleur restait à venir? Que Violator apporterait à Depeche Mode une consécration qui dépassait leurs espérances ? Le World Violation Tour et sa Set List de rêve préfigure dans un sens ce que sera la tournée suivante. Hissé au rang d’icône, Gahan n’a comme seul remède que la came pour continuer à croire en ce qu’il fait, noyé chaque soir dans une overdose de tubes scandés à l’infini et de projections scéniques. Depeche Mode singe Depeche Mode. Un tableau criard, mais qui fait mouche.
Renaître et mourir
Cette souffrance éprouvée à l’idée d’être prisonniers d’eux-mêmes, de la marque Depeche Mode, de leur succès, de leur passé, éclaire d’un jour nouveau la volonté de Martin de sortir des arcannes de l’éléctro sur le prochain album à venir, comme le désir de Dave de tuer son personnage de Gahan. Certes, l’orientation rock de la musique provient d’abord d’un choix, d’un concours de circonstances, d’une convergence de vues entre Gore et le désormais exigeant Gahan. Cela dit ce choix s’intègre dans un projet plus global, visant à abandonner tout ce qu’on a pu stigmatiser chez Depeche Mode. Exit le look boy band, place à la quête de crédibilité. La batterie arrive, la guitare s’installe. Et quoi de plus radical pour casser une réputation de minets superficiels que de placer un album sous le signe de la religion?
Black Celebration
Trop souvent on présente le groupe sous le visage de la victime innocente qui voit rien venir, la proie d’une machine, le Devotional tour, qui les dépasse et qui va les broyer. C’est faux. Cette tournée, et par delà même ses effets sur le groupe, c’est Depeche Mode qui l’a voulue. Rempiler pour 60 dates supplémentaires début 94 quand après plus de 100 concerts on a déjà touché le fond, il faut le vouloir. Auto-destruction. Depeche Mode n’a plus rien à prouver, et se jette consciemment dans une fuite en avant sans se préoccuper du prix à payer. Le symbolisme religieux n’est pas un artifice dans cette histoire. Depeche Mode s’enterre soir après soir sous les yeux crédules des fans et des critiques.
Forgiveness for the things I do
Laissons de coté le grandiose du spectacle en tant que tel pour opérer un bref retour sur les exploits de Dave en tournée :
- 12 juin 93 : Stage diving de Dave à Mannheim. Il manque de ne pouvoir s’extirper de la fosse.
- 7 Septembre 93 : Dave et son garde du corps sont arrêtés à Québec après avoir déclenché une bagarre dans l’hôtel du groupe
- 8 Octobre 93 : Overdose de Dave à New Orleans pour le dernier rappel.
- 8 juillet 94 : A l’occasion d’un nouveau stage diving, 2 cotes cassées, hémorragie interne.
- Etc…
Le reste appartient à la légende noire de Depeche Mode. Le tandem psychiatre-dealer attitrés du groupe, l’alcool maladif de Gore, la déprime de Fletch, la Coke en-veux tu en voilà, les after hallucinées, les clichés des clichés du grand cirque du rock ressassés à l’infini ou plutôt à raison de près de 170 soirées sur la période 93-94.
L’addition
Effets immédiats ou à long terme, l’addition est salée. Mi-mars 94, les nerfs de Fletch lâchent et le renvoient se faire soigner à Londres. Alan quitte le groupe en mai 95, pour se consacrer à Recoil, plus reposant. Quant à Dave aucun trip ne peux plus l’arrêter. Le 28 mai 96, cloué sur son lit du Cedars Sinaï hospital, Gahan en Christ cocaïné ressuscite sans passer par la case tombeau. « I’m knocking on death’s door », la prophétie s’est accomplie et gageons que cette nuit il a racheté ses fautes et celles du groupe. Aussi cruelle que puisse paraître cette expérience, cette étape était, il faut croire, nécessaire pour lui et pour que Depeche Mode ait un avenir.
Epilogue
Il y a eu les garçons coiffeurs, puis les rockers mystiques, et en fin de compte ils sont toujours là. Rien n’a changé, ou presque. Les perfectos sont au placard, les bracelets de force ont cédé la place, sur les photos promos, aux montres Gucci, et si Dave continue d’agrémenter ses performances scéniques de mains à l’entrejambe, il sait que sa femme le lui pardonne d’avance. Mens sana in corpore sane
. L’anti-rock’n’roll attitude, certes. Mais le prix à payer pour survivre à 24 ans de carrière. Et au vu des conditions qui ont été celles de Depeche Mode, peu de groupe peuvent se targuer de revenir de si loin.