Une vision différente
ControlLa biographie écrite par Deborah Curtis, Touching from a distance (titre stupidement traduit par Histoire d’une vie en français), surprend par l’amertume, la colère et la tristesse de son ton. L’auteur est manifestement une femme toujours blessée par les infidélités de son défunt mari, qu’elle a manifestement aimé avec passion. Elle n’hésite pas à égratigner l’icône, à pointer son égoïsme et sa lâcheté. Dans son film, Corbijn choisit quant à lui de filmer cette même histoire mais avec une vision différente. Il ne prend pas parti. Il va filmer l’incapacité de choix de Curtis mais également la tristesse des trois personnages principaux : la tristesse d’une Deborah Curtis trompée et délaissée, la tristesse d’un Ian Curtis perdant le contrôle de sa vie et infligeant souffrance et incompréhension aux deux femmes qu’il aime, la tristesse d’une Annik Honoré ne pouvant jamais pleinement vivre son amour et se sentant responsable du tiraillement de Curtis.

De la distance à la perte de contrôle
De même, le livre et le film choisissent chacun deux aspects différents du destin de Ian Curtis. Comme son titre l’indique, Touching from a distance traite de la façon dont le couple Curtis a pu s’éloigner l’un de l’autre : à travers la musique (l’habitude de Ian de s’enfermer pour écrire, son souhait de ne pas intégrer Deborah à l’entourage du groupe), à travers la célébrité (« l’exclusion » des femmes et petites amies des concerts de Joy Division), et, bien sûr, à travers l’histoire d’amour entre Ian et Annik Honoré.

ControlLe film de Corbijn s’intéresse plutôt à la perte de contrôle de Ian. Il perd le contrôle de son mariage qui se délite en raison de l’éloignement physique et spirituel du couple et de sa relation avec Annik, de son cœur car il ne parvient pas à faire un choix entre deux femmes, de son corps lors de ses crises d’épilepsie, pathologie se traduisant par une perte de conscience et des convulsions. Que ce soit dans le livre et le film, on peut sentir l’abattement de Curtis face à son incapacité à canaliser, à apaiser cette maladie en prenant ou pas ses médicaments. Enfin, Anton Corbijn nous montre un Ian Curtis qui n’arrive pas à contrôler la célébrité du groupe : après la sortie d’Unknown Pleasures, Joy Division multiplie les lives qui imposent à Curtis un rythme de vie qu’il sait néfaste à son état de santé. Celui-ci n’a plus envie de faire partie du groupe mais il lui est impossible de se désengager (cf. la scène où Ian refuse de chanter lors d’un concert et où il est remplacé par le bien téméraire chanteur des Crispy Ambulance).

Du noir & blanc vers la couleur ?
Comme il l’explique dans le dossier de presse de Control, Anton Corbijn, surtout connu pour ses photographies d’artistes musicaux, voulait absolument, pour son premier film, s’affranchir de son étiquette musicale. Au vu du sujet de Control, on pourrait penser qu’il a finalement capitulé. Pas tant que ça. Au delà d’être un film sur la musique, où les scènes de live sont par ailleurs superbes et restituent bien l’impression d’urgence des concerts de Joy Division, Corbijn a avant tout voulu parler de la plongée d’un jeune homme dans ses limbes intérieures, miné par son incapacité à prendre le contrôle de son corps, de sa vie privée ou professionnelle. Le réalisateur néerlandais, fort de sa parfaite connaissance du milieu rock, évite tous les clichés de la rockstar pour s’attacher au côté désespérément humain de Ian Curtis. Corbijn démontre également qu’il peut être un formidable directeur d’acteurs. Ceux de Control sont impeccables : de Sam Riley injectant son indéniable charisme dans son interprétation de Ian Curtis, à Samantha Morton dans le rôle particulièrement ingrat de Debbie Curtis, en passant par Toby Kebbel incarnant un Rob Gretton particulièrement truculent.

Homme d’image avant tout, Corbijn a su s’entourer du talent de Martin Ruhe, directeur de la photographie du film, qui signe une image en noir & blanc superbe. L’ultime scène où une fumée noire se disperse dans le ciel gris de Macclesfield reste longtemps en mémoire. Espérons que ceci fera passer le goût récurrent de Corbijn pour le sépia ! Néanmoins, s’il a choisi le noir & blanc pour son premier film, car ses « souvenirs de Joy Division sont surtout en noir et blanc », Corbijn jure que son prochain film sera plein de couleurs.

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